Naturisme : les dernières heures habillées

18 : 00

Le compte à rebours a commencé. Nous sommes à quelques kilomètres du camp naturiste de Montalivet, en Gironde. Je lance à Véronique, la photographe, qui n'en mène pas large non plus : « Nous vivons nos dernières heures textiles ! »

Au terminus des bus, dans un village peu avenant, un groupe de motards nous apostrophe : « Eh, les vénus, vous allez au camp des culs-nus ? » « Ça promet », grommelle Véro.

Quelques minutes plus tard, la voiture du directeur du camp apparaît. « Il a mis son jogging », souffle Véro avec soulagement. Tandis que nous roulons, il nous parle des « 11 000 personnes qui viennent vivre ensemble leur passion du naturisme à Montalivet ». Comment peut-il parler de passion ? Il sourit : « Vous savez, le naturisme, ça se vit, c'est très difficile d'en parler. »

Naturisme : arrivée chez les "culs-nus"

20 : 00

Les images qui nous assaillent sont si affolantes que Véro et moi éclatons d'un rire nerveux : des hommes font du vélo le sourire aux lèvres, l'appareil génital délicatement posé sur la selle, des femmes achètent des fruits en tenue d'Eve, des filles sirotent une boisson, les seins nus posés sur le bar...

Véro s'écrie : « Je ne savais pas qu'il y avait une telle variété ! » François, le directeur, répond avec sérieux : « Au bout de vingt-quatre heures, vous ne regarderez plus les sexes des gens. Les naturistes ont "le regard horizontal". Ils regardent la personne dans les yeux et dans son ensemble. »

Après avoir loué des vélos, c'est nous qui sommes déplacées, tout habillées au milieu des naturistes qui nous dévisagent avec étonnement. Vivement qu'on arrive à notre Tithome, notre hébergement mi-mobile-home mi-tente.

Naturisme : dîner de poules mouillées

22 : 00

François nous propose de dîner dans une heure et, l'air malicieux, ajoute : « Votre baptême du feu, ça va être les douches. »

Ça tourne !

C'est la panique intérieure : les douches, disposées aux carrefours des chemins, n'ont pas de portes ! « Alors ça, ça va pas être possible, tonne Véro. T'inquiète, on se douchera dans la nuit, quand tout le monde dormira. »

Naturisme : le moment de l'effeuillage

9 : 00

Il fait un temps superbe. Des familles déjeunent les fesses à l'air, assises sur un « sous-cul », un paréo en général. « C'est le moment de l'effeuillage, devant toutes ces familles ! » Nous enlevons nos larges chemises et nous retrouvons nues comme des vers... dans l'indifférence générale.

« Alors ça, on se fait moins mater nues qu'habillées, rigole Véro. Allez, on va se doucher ! » Soudain quelque chose d'insensé se produit : je sens le vent sur ma peau, je cligne des yeux vers le soleil qui brille dans les pins, je souris à des inconnus qui passent et ma gêne s'évanouit.

Nous marchons vers notre logement, et le vent nous sèche. Nous croisons des corps magnifiques ou très abîmés. Des femmes amputées d'un sein se promènent l'air dégagé, ou des gens lardés de cicatrices.

Naturisme : à poil à la plage

11 : 00

Nous sommes invitées à dîner chez Marie-Jo et Nicole, rencontrées en faisant la vaisselle. Il ne nous a fallu que quelques heures pour passer de l'autre côté. Les convives ont improvisé une tablée sous les arbres. Tout le monde est nu, mais nous oublions de le noter. Impossible de savoir qui est riche, qui ne l'est pas, les accents se mélangent, le Massif central rencontre la Vendée, la Normandie s'assoit à côté de la Gascogne.

Chacun y va de son anecdote : il paraît que Paul est sorti du site pour aller acheter de l'essence, oubliant qu'il était nu... La pompiste, qui a l'habitude, a fait le plein pour lui. Les rires et les conversations vont bon train jusque tard dans la nuit.

Nous n'avons plus envie de partir le lendemain. Alors, promis, juré, nous décidons solennellement de louer un chalet avec nos hommes et nos enfants l'année prochaine.

Naturisme : L'avis du sociologue

Marie Claire : Pourquoi ce besoin des naturistes de se regrouper ?

Christophe Colera : Leurs motivations varient suivant le type de naturisme qu'ils pratiquent, de l'option libertine à d'autres, plus familiales. Les naturistes « classiques » recherchent l'expérience du vivre-ensemble, le partage de valeurs communes : tolérance par-delà la diversité des psychologies et des corps, liberté et communion avec la nature. Avec le sentiment de refonder la société en retrouvant l'authenticité originelle.Christophe Colera* :

Marie Claire : Quelles sont les origines du naturisme ?

Christophe Colera : Il est issu à la fois des mouvements anarchistes de la fin du xixe siècle, qui pratiquaient le nudisme dont les valeurs d'authenticité et de solidarité contraient le capitalisme industriel, et du mouvement hygiéniste qui, au début du xxe siècle, prônait la pratique sportive dans un cadre naturel, les bains de soleil et de mers pour fortifier les corps.

Marie Claire : 2 % de pratiquants en plus par an en France, serait-ce tendance ?

Christophe Colera : Après le déclin, dans les années 90, le mouvement gagne de nouvelles recrues. De là à dire que c'est « tendance »... Dans le reste de la société, il est « tendance » de s'y opposer.

Marie Claire : Serions-nous plus pudiques ?

Christophe Colera : Les réflexes de pudeur restent très enracinés. Un sondage Ifop-Tena de 2010 révèle que non seulement beaucoup de gens n'aiment pas montrer leur corps, mais aussi que la proximité de corps nus les dérangent (48 % des femmes interrogées). Il est d'ailleurs possible que les deux phénomènes se nourrissent l'un l'autre, la pudeur de certains suscitant chez d'autres des tendances à la provocation... ce qui alimente en retour un plus grand besoin de pudeur.(*) Chercheur au CNRS et auteur de « La nudité : Pratiques et significations » (éd. du Cygne).

Quelques chiffres sur le naturisme

500 000 Français sont adeptes du naturisme, et la tendance augmente de 2 % chaque année.

Première destination naturiste au monde, la France accueille 1,5 million de touristes dans ces 83 sites de vacances, 116 plages, 31 campings associatifs (20 000 emplacements) et 25 gîtes naturistes.

www.ffn-naturisme.com