Parfois, il faut toute une vie pour accepter son physique. Celui de Tasha, top aux yeux verts transparents, visage de chat et cheveux sombres, est splendide. Donc son défi fut plutôt d'imposer une certaine image qu'elle a façonnée jusqu'à trouver sa vérité. Sa magnifique babyface a fait place dès la fin des années 90 à un look androgyne, tatoué et piercé, inhabituel à l'époque. On la verrait bien dans un bar underground de sa ville à discuter de stylistes pointus. En réalité cette femme de 36 ans tout sourire, ornée de tatouages, posant dans une banlieue de LA pour le shooting de Marie Claire, est professeur de yoga et écoute le chant des oiseaux dans la forêt.
Enfant, avec son frère James.
A 14 ans, Tasha vit à Toronto et se voit conseiller par sa sœur aînée, étudiante en mode, de faire du mannequinat. Elevée par une mère rivée au « National Geographic », elle n'est pas du tout habituée à l'univers de la mode. Mais elle part vivre seule à New York à 15 ans pour les shootings. Les photographes s'arrachent Tasha, qui se sent très vite en décalage avec l'image qu'on cherche à lui donner. « Je n'étais pas une adolescente girly, mais j'en avais l'apparence. Heureusement, mon côté renfrogné plaisait aux photographes et j'aimais que ma vraie personnalité d'ado puisse se dégager. Au début j'avais beaucoup de mal à sourire sur les photos.
L'adolescence ombrageuse.
Je souffrais de dépression et je trouvais impossible de faire semblant pendant les shoots. Ça rendait le travail commercial plus difficile. » Toutefois sa cote monte, et à 16 ans, elle se retrouve en couverture du magazine « W ». Elle pose pour Paolo Roversi, fait la campagne de Versace… Tasha est partout. A cette période, alors que sa carrière est phénoménale, elle prend une décision inouïe pour son âge. Elle s'achète une ferme, son rêve, près de Toronto et part y vivre avec sa mère. « Quand j'avais besoin de prendre des distances avec le monde de la mode, je m'y retirais et j'ai fini par y vivre. J'ai élevé des moutons, des chevaux, des poulets, des vaches et des ânes. Mes moutons avaient une très belle laine alors j'ai appris à filer, tisser et tricoter.
Elle peaufine aussi une transformation physique, opérée dès ses 15 ans. Tasha ne veut pas ressembler à une poupée anonyme, elle se fait percer le septum nasal, se coupe les cheveux très courts, et fait tatouer son dos, ses bras, ses jambes… Son visage y a échappé de peu. « Ma mère a grandi au Maroc et j'étais très attirée par les tatouages des femmes des tribus berbères. Tant de groupes portent des signes distinctifs de leur tribu, c'est peut-être un besoin humain de s'identifier soi et son clan. » Sa nouvelle apparence la prive certes de certains contrats, mais elle s'en attire d'autres grâce à ce look de punkette futuriste et avant-gardiste. Elle séduit Louis Vuitton, Calvin Klein, Vivienne Westwood, Chloé, Jil Sander, Karl Lagerfeld… « Parfois j'aurais préféré que mon impulsivité ne soit pas si forte, mais je ne peux changer les tatouages que j'ai maintenant. Je réfléchirai davantage à mes futurs tatouages si j'en fais d'autres. »
Tasha ne veut pas non plus jouer la comédie sur ses préférences sexuelles : elle sort très tôt du placard. La top s'est mariée en 2009 au Canada puis à LA avec sa compagne, Laura Wilson, rencontrée chez la chanteuse Pink.
Je suis si heureuse et fière que les Américains aient finalement légiféré pour l'égalité de tous leurs citoyens, dit-elle à propos du mariage pour tous. C'est merveilleux d'être témoin de ce changement, mais aussi qu'il soit derrière nous, pour avancer avec compassion et tolérance. S'aimer est un droit élémentaire !
Les deux femmes sont maintenant mères de jumeaux, Gray et Bowie, mis au monde par Tasha. « Je crois que la maternité m'a rendue plus forte, j'ai moins de temps pour me faire du souci. J'ai envie de transmettre à mes enfants des valeurs de gratitude, de bien-être, de gentillesse, de calme et d'effort au travail. Et je remarque que j'apprécie beaucoup plus de partir sur plein de shootings, ce sont comme des mini-vacances pour moi. »
Aujourd'hui Tasha vit entre Los Angeles et le Canada. Cette adepte de sculpture sur bois peint aussi des paysages, des créatures féeriques ou des portraits. Elle composait jadis de la musique sous le nom de Rusty Foxglove. Mais désormais, elle confesse vivre une existence très calme, les jumeaux jouant dans son jardin, apprenant la musique en sa compagnie. Lorsqu'ils font la sieste, elle part faire un running et ou du yoga.
« Comme je ne conduis pas, le week-end, ma femme nous emmène en excursion dans des parcs, ou nous partons faire du shopping ou voir des amis. » Une vie quasi ascétique pour cette végétarienne depuis l'âge de 9 ans. « Je mange beaucoup de graines, des haricots et des légumes, et je m'autorise les produits laitiers. Dernièrement j'ai quasiment arrêté le café et le sucre, et ça m'a vraiment aidée à me sentir bien et équilibrée. » Cette figure des campagnes de pub du luxe n'aspire en fait qu'à l'essentiel : « J'aime courir et sentir mon cœur battre. Respirer de l'air frais, profiter de belles vues, nager, faire du kayak et voir mes enfants faire de même et s'enrichir de ces expériences. » Plus tard, elle se voit poursuivre dans le yoga, peut-être allié à la mode.
Quelle que soit sa future vocation, après des années à se définir, Tasha vit déjà en paix.