Depuis la large avenue Bethany, aucun panneau n’indique le chemin à suivre. Dans ce quartier défavorisé du Nord-Ouest de Phoenix, la capitale de l'Arizona, seul un drap accroché à un toit en tôle donne un indice. Quatre appareils génitaux féminins entravés de menottes sont peints avec un texte : "Votez, comme si votre vie en dépendait".
Quelques mètres plus loin, en s’engouffrant dans une allée, difficile de s’imaginer que dans ce bâtiment gris sombre se trouve une clinique pour avorter. Dans l’Acacia Women Center, la salle d’attente est vide en cette matinée du mercredi 6 novembre 2024.
"La proposition 139" votée en parallèle de l'élection de Trump
Comme une impression de calme avant la tempête. Quelques heures plus tôt, Donald Trump a officiellement été réélu président des États-Unis, battant avec une large avance la candidate démocrate Kamala Harris qui avait fait de la défense du droit à l’avortement l’un des enjeux majeurs de sa campagne.
À l’accueil, Irma, responsable de la clinique, confie ne pas avoir suivi la soirée électorale. Elle se réjouit plutôt du résultat d’un autre scrutin qui s’est tenu au même moment. Car en plus de choisir un président, les électeurs de l’Arizona ont voté un référendum d’initiative citoyenne, "la proposition 139".
Elle ancre notamment le droit à l’avortement dans la Constitution de l’État, allonge le délai pour un avortement de 15 à 24 semaines de grossesse et protège contre des tentatives de restrictions. Depuis la révocation de l’arrêt Roe vs Wade en 2022, sous le premier mandat de Donald Trump, l’Arizona faisait en effet partie des États les plus restrictifs sur l’avortement. La "proposition 139", approuvée à près de 62% des voix mardi 5 novembre, symbolise la victoire des militantes pour le droit à l’IVG.
"J’aurais pu mourir si je n’avais pas eu accès à ce droit"
Dans la clinique, le téléphone n’arrête pas de sonner. Adrianne, la réceptionniste, répond en anglais et en espagnol. "La première question qu’elles posent : 'Pratiquez-vous encore des avortements ?'", confie-t-elle, accablée par le manque de renseignements dont disposent les femmes.
Elle espère que désormais, avec ce texte qui garantit le droit à l’avortement en Arizona, elles sauront qu’elles peuvent venir en toute confiance. Une jeune femme, bonnet noir vissé sur la tête, piercing à la lèvre s’avance alors vers la réception.
"Les femmes blanches pensent qu’elles sont immunisées, mais si Donald Trump met en place une restriction au niveau national, toutes les femmes seront touchées." Deija, 27 ans
Ashley a 29 ans, elle a avorté il y a quelques semaines et vient aujourd’hui pour un rendez-vous de contrôle. Alors qu’elle patiente, accoudée au comptoir, elle saisit la brochure sur la proposition 139 et lance : "J’aurais pu mourir si je n’avais pas eu accès à ce droit." À deux reprises, elle répète cette phrase, comme si elle peinait encore à croire ce qu’elle venait de traverser.
Au bout de trois semaines de grossesse, des analyses médicales ont montré que le fœtus avait des problèmes cardiaques et n’était pas viable. Cette information en tête, Ashley décide d’avorter et se tourne alors vers une première clinique dans le centre de la ville. "Il y avait tellement de monde qu’ils m’ont demandé d’attendre dehors seule, raconte-t-elle. Sauf que devant la clinique, il y avait plein de manifestants anti-avortements. C’était intenable de rester là."
L'IVG en danger et l'élection de Trump, "deux choses différentes" ?
Après cet épisode traumatisant, Ashley a trouvé refuge à l’Acacia Women Center. Un soulagement pour cette mère de deux enfants qui se réjouit, comme Irma et Adrianne, du vote du référendum. Quand on l’interroge sur le résultat de l’élection présidentielle, elle esquisse un léger sourire. Craint-elle que le droit à l’avortement soit en danger avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche ?
"Vous savez, je suis extrêmement contente que Trump ait gagné", lâche-t-elle. "Il y a d’un côté la garantie d’un besoin médical et de l’autre, différents sujets qui me concernent comme l’inflation ou l’immigration et Trump sera un bon président pour gérer ces problèmes. Ce sont deux choses différentes."
Quelques blocs plus loin, à la Desert Star Institute, une autre des huit cliniques de la ville qui pratiquent des IVG, Deija, 27 ans, n’est pas du même avis. Elle est l’assistante du Dr DeShawn Taylor, obstétricienne-gynécologue à la tête de l’établissement.
Les femmes issues de communautés afro-américaines ou hispaniques, la majorité des patientes
"Les femmes blanches pensent qu’elles sont immunisées, mais si Donald Trump met en place une restriction au niveau national, toutes les femmes seront touchées, assure-t-elle. Et plus spécifiquement les femmes issues de communautés afro-américaines ou hispaniques." Elles représentent la majorité des patientes de la clinique qui a fait de la défense des droits des minorités une de ses batailles.
Jessica, la réceptionniste, confie que ces dernières semaines, les patientes étaient très préoccupées par l’issue du scrutin présidentiel et du référendum. "On les encourageait à bien s’enregistrer pour aller voter ; le docteur portait un cordon autour du cou, au bout duquel se trouvait un QR code pour avoir des informations sur la proposition 139".
Avec le vote de ce référendum, elles pourront continuer à informer les femmes et à pratiquer des avortements dans des conditions plus sereines. Et même si le changement d’administration leur semble désormais "effrayant", elles gardent espoir pour l’avenir.
De concert, les deux jeunes femmes l’assurent : "On va juste continuer à se battre comme on le fait déjà depuis des années ici."
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