Pour la carte postale, on repassera. La vallée de Chamonix et le massif du Mont-Blanc souffrent terriblement du réchauffement climatique. Entre le recul des glaciers et la multiplication des écroulements, les glaciers fondent tandis que les montagnes s'affaissent.
Un autre problème majeur frappe la région : la qualité de l'air. Comme le dit la docteure Mallory Andriantavy-Guyon : "Quand je suis arrivée ici il y a une quinzaine d'années, pour moi c'était les montagnes et donc forcément l'air pur. Et puis je me suis intéressée de plus près aux problèmes de santé de mes patients. Je n'ai pas été déçue du voyage."
"La toux de la vallée"
Des enfants asthmatiques à foison ; des bronchiolites, comme celle qui a touché son bébé, hospitalisé en urgence à six semaines ; des cancers suspects, des otites à répétition, des rhumes "qui durent trois semaines et qu'on n'arrive pas à soigner", des pneumonies nécessitant une hospitalisation, des bronchites, des allergies qui se multiplient…
L'été, j'ai des patients qui souffrent de pathologies inexplicables
"L'été, j'ai des patients qui souffrent de pathologies inexplicables." Ou plutôt si : par la qualité de l'air que la médecin qualifie d'"insalubre, irrespirable". Avec, comme durant l'hiver 2017, trente-cinq jours consécutifs de dépassement des taux de pollution.
Et une qualité de l'air qui s'est, certes, un peu améliorée les derniers hivers grâce aux précipitations accrues, mais que des scientifiques comparent au centre-ville de Lyon alors qu'on est à la montagne. "On connaît tous ici "la toux de la vallée'", reprend-elle. Une forme de laryngite qui peut durer deux mois…
Une zone ultra-polluée
L'Arve est une rivière qui traverse Chamonix, coule tout du long de la vallée qui porte son nom et se jette dans le Rhône à Genève. Cette vallée de l'Arve, dans sa partie située entre Chamonix et la ville de Cluses, fait partie des zones les plus polluées de France.
Un cocktail explosif : un encaissement naturel ; le chauffage au bois et au fuel ; un incinérateur et une usine chimique (SGL Carbon, ex-Péchiney) décriés ; un trafic routier infernal avec 1,6 million de voitures et six cent mille camions par an sur l'autoroute qui mène à l'Italie via le tunnel du Mont-Blanc.
"C'est insupportable, lance Muriel Auprince, 63 ans, ancienne diététicienne en hôpital, installée à Saint-Gervais. On se bat pour ces enfants tout le temps malades et bourrés de cortisone. On se bat contre tous ces gens qui nous mentent, qui nous disent que tout va bien. Mais comment font-ils pour avoir la conscience tranquille ?"
Mobilisation des habitants
Il y a trois ans, avec son mari, puis rejointe par d'autres comme Mallory Andriantavy-Guyon, elle fonde le collectif Coll'Air Pur, qui va lancer l'offensive. "Un de mes fils a déclaré un cancer à 20 ans, explique-t-elle. Comme il est né en 1986, j'ai mis ça sur le dos de Tchernobyl. Et puis un jour, je me suis penchée sur la question de la pollution dans la région…"
Avec des bouts de ficelle, puis des moyens plus conséquents, elle procède aux premiers examens de la qualité de l'air et des poussières qu'on retrouve par exemple sur les rebords de fenêtres. Le collectif, qui va entraîner des milliers de personnes à manifester et à signer des pétitions, va aussi analyser la présence de métaux lourds sur les cheveux des enfants.
Les résultats sont accablants : on retrouve près de soixante-dix-huit molécules de produits chimiques, dont des taux affolants de benzo[a]pyrène, un hydrocarbure aromatique fortement cancérigène.
Depuis qu'ils sont partis, elles n'ont plus rien
"Un de mes fils et sa femme ont quitté la région pour la Drôme, leurs deux petites filles étaient tout le temps malades des poumons. Depuis qu'ils sont partis, elles n'ont plus rien", soupire-t-elle. Comme elle et Mallory, de plus en plus d'habitantes et d'habitants de la région se mobilisent pour la préservation de l'environnement.
Telle Anne Lass-man-Trappier, 55 ans, présidente de France Nature Environnement Haute-Savoie et de l'association Inspire.
Attablée aux Houches, son vélo électrique posé contre une barrière, cette autre militante, née à Chamonix, explique avoir commencé le combat il y a près de quinze ans depuis l'Angleterre où elle vivait alors. "Le réchauffement climatique est là. La pollution de l'air, c'est une pandémie qui revient sans cesse, qui tue chaque année en France entre cinquante mille et cent mille personnes, mais personne ne s'empare du problème."
Elle explique comment il faut, à chaque nomination d'un nouveau préfet, tout reprendre à zéro pour le convaincre de l'urgence, dans une région où l'on a identifié au moins quatre-vingt-cinq décès prématurés par an dus à la pollution.
Garder espoir
Parfois, elle cède au découragement. mais comme les autres, elle est une guerrière. "Je peux me décourager deux ou trois jours mais je vais tout de suite rebondir. J'avoue quand même que certains collègues ont lâché l'affaire à la longue."
Je peux me décourager deux ou trois jours mais je vais tout de suite rebondir
Le 13 février 2020, Emmanuel Macron se rend à Chamonix, promettant de s'attaquer au problème. "C'est 'parle à mon cul, ma tête est malade', soupire un militant. Rien n'a été fait." Du moins vraiment pas assez, même si un plan de modernisation de la vieille voie de chemin de fer a été décidé et si des élu·es de la région se sont mobilisé·es pour faciliter trains, bus propres, vélos, télécabines pour éviter de prendre la voiture…
Mais le classement Unesco du massif du Mont-Blanc, un temps évoqué, n'a toujours pas été décidé.
Une prise de conscience
Il n'y a pas non plus de classement en parc ou réserve, contrairement à la réserve naturelle des Aiguilles Rouges, que l'on aperçoit sur la gauche en dépassant Chamonix pour se rendre en Suisse.
Un immense espace protégé, dominé par de hauts sommets où travaille comme conservatrice Marion Guitteny, 33 ans. Originaire d'Angers, elle est venue en Haute-Savoie poussée par sa passion de l'escalade et de la défense de l'environnement.
"La réserve existe depuis 1974, ce qui a permis de limiter l'extension du domaine skiable et de laisser la nature faire, ce que l'homme a beaucoup de mal à admettre", explique-t-elle.
L'urbanisme, autre plaie de Chamonix et des environs, n'y a commis aucun ravage et il semble que le déclin des oiseaux y soit moins fort qu'ailleurs.
"Au quotidien, dans la région, je vois du positif, assure-t-elle. On sent une prise de conscience, les gens, les élus s'intéressent beaucoup plus à la question de l'environnement. Mais le problème est que le modèle global dans lequel nous vivons ne permet pas d'inverser la tendance."
"Les choses ont changé"
Un écureuil vient toquer à l'une des fenêtres du chalet de Nathalie Hagenmuller, professeure d'éducation physique et guide de haute montagne. Avec notamment Tiphaine Breillot, 37 ans, cofondatrice de l'association Ide-ô, qui éduque et soigne par l'accès à la nature, elle a créé le Collectif des possibles.
Nous sommes une force de proposition et non d'opposition
"Nous sommes une force de proposition et non d'opposition", assure Nathalie, entourée des objets et tapis rapportés de ses expéditions au Pakistan ou au Tibet. Il y a quatre ans, elle commence à s'investir localement, puis participe avec Tiphaine à la rédaction d'un questionnaire remis aux principaux·ales candidat·es de la région aux élections municipales de 2020.
"Nous sommes dans la sensibilisation à la question de l'environnement et dans la création de lien social, expliquent-elles. Nous voulons que les gens puissent se rencontrer autour de projets comme l'installation de panneaux solaires, la collecte des déchets, la préservation de l'agriculture de montagne." Ensemble, elles se sont impliquées dans une réflexion pour repenser le tourisme en zone de montagne : les modes de transport, la multiplication des résidences secondaires, la charge infligée aux territoires.
Autant de questions indispensables quand on sait que Chamonix passe de neuf mille habitants en temps normal à près de cent mille au cœur de l'été. Elles ont aussi réussi à sensibiliser les jeunes qui sont, trouvent-elles, "de plus en plus concernés et réfléchissent, peut-être plus que les adultes, à des actions à mener sur le long terme".
De son côté, Coll'Air Pur a engagé le combat devant les tribunaux pour faire condamner les pollueurs et l'État. Muriel et Mallory ont bon espoir de l'emporter, comme Anne Lassman-Trappier, qui lance : "Il y a dix ans, on nous riait au nez. Les choses ont changé. Mais iront-elles assez vite par rapport à l'urgence que nous impose le réchauffement climatique ?"
À Passy, près de l'usine chimique, de l'incinérateur et de l'autoroute, Muriel et Mallory ne lâchent rien : "On le fait pour tous ces enfants qui étouffent", répète la première. "Bien sûr qu'on va finir par l'emporter", assure la seconde.
Quand on lui demande si elle a envisagé de quitter la région, elle répond que son mari et elle (ils attendent leur troisième enfant) en ont parlé. "Mais de toute façon la pollution est partout, répond-elle. Et moi, je ne veux pas partir. Je veux rester, me battre, rester solidaire. Et gagner."
Le papier a été initialement publié dans le numéro 831 de Marie Claire, daté décembre 2021.