Plus de 3 millions d’entrées au Brésil, un Golden Globe pour son actrice principale, le prix du meilleur scénario à la Mostra de Venise et probablement des nominations aux Oscars. Voilà le palmarès de Je suis toujours là de Walter Salles. En salle depuis le 7 novembre 2024 au Brésil, le long-métrage est devenu un phénomène artistique, mais aussi sociétal. Il est arrivé dans les salles obscures françaises le 15 janvier.

Au-delà des prestations bouleversantes, il instruit sur ’implication des femmes dans la dictature militaire brésilienne, et lève le voile sur l’histoire vraie et pourtant méconnue d’Eunice Paiva.

Une fresque historique au cœur de la dictature brésilienne

Treize ans après Sur la route, Walter Salles revient avec une fresque historique qui plonge au cœur des heures sombres de la dictature militaire brésilienne (1965-1985). Je suis toujours là s'ouvre sur une scène idyllique : une famille de la haute bourgeoisie de Rio de Janeiro profite des joies de l'été sur les plages d'Ipanema. Mais cette harmonie est brutalement interrompue par l'arrestation arbitraire du père, Rubens Paiva, ancien député travailliste.

Face à cette tragédie, son épouse, Eunice Paiva, interprétée par Fernanda Torres, se transforme en une figure de résistance. Elle reprend ses études d'avocate et lutte avec détermination contre le régime oppressif, cherchant inlassablement la vérité sur la disparition de son mari. Je suis toujours là est une ode à la résistance et à la quête de vérité, mettant en lumière le courage d'une femme, Eunice Paiva, face à l'oppression.

Une fois le film terminé, les images d’archives de l’avocate donnent un tout autre regard sur l’œuvre, qui, bien qu’elle soit romantisée, reste fidèle aux grandes lignes de sa vie. Car le scénario est inspiré du livre du même nom, écrit par Marco Paiva, le fils cadet d'Eunice. Si Je suis toujours là aborde uniquement les engagements d’Eunice Paiva contre la dictature militaire du Brésil, ils étaient en réalité multiples

Une tragédie personnelle devenue combat universel

En janvier 1971, Rubens Paiva, opposant au régime militaire, est arrêté sous les yeux d’Eunice Paiva et de ses enfants. Ce n’est que vingt-cinq ans plus tard, le 23 février 1996, qu’elle obtient son acte de décès après que ce dernier a été torturé et tué dans des circonstances troubles. Son corps ne sera jamais retrouvé.

Eunice Paiva se retrouve emprisonnée et interrogée durant douze jours, comme le rapportent les documents du Service national de renseignement, rendus publics en 2013.

Pour Eunice Paiva, le choc de cette disparition devient un moteur : celui de la quête incessante de vérité et de justice. Elle reprend des études de droit à l'Université Mackenzie de São Paulo, en 1973, et obtient son diplôme d’avocate à 47 ans. Son engagement prend alors une nouvelle dimension : Eunice Paiva consacre sa vie à défendre les familles de disparus politiques, exigeant la vérité sur les crimes du régime.

Son engagement portera finalement ses fruits et aboutira à la promulgation de la loi 9.140/95. Le texte reconnaît comme mortes les personnes disparues en raison de leur participation à des activités politiques pendant la dictature militaire brésilienne. Lors de la cérémonie de signature, en 1995, en présence du président du Brésil de l'époque, Fernando Henrique Cardoso, Eunice Paiva est la seule parente d’un disparu, indique l'encyclopédie en ligne Universalis.

Une voix pour les peuples autochtones

Ses combats ne se limitent pas à la lutte contre la dictature. Elle s’investit aussi dans la défense des droits des peuples autochtones, un combat souvent ignoré à l'époque. En 1983, elle co-écrit un article phare, "Defendam os Pataxós" (défendez les Pataxós, en français), publié dans Folha, un journal brésilien, plaidant pour la protection des terres et des cultures autochtones face aux violences et aux expropriations.

"Eunice Paiva a été l’une des figures les plus importantes de la lutte pour les droits des peuples autochtones au Brésil, en particulier pendant la période de redémocratisation du pays", explique l’historien Carlos Trubiliano au média brésilien Em Destaque. Sa voix résonne fort, au point de devenir un modèle pour d'autres communautés.

En 1987, Eunice Paiva co-fonde l'Institut d'Anthropologie et de l'Environnement (IAMA), militant pour l’autonomie des peuples autochtones. Cette implication l'amène à devenir consultante auprès de l'Assemblée nationale constituante en 1988, influençant la rédaction des articles sur les droits indigènes dans la nouvelle Constitution brésilienne.

Toujours auprès de Em Destaque, l'historien Carlos Trubiliano souligne que la contribution de la Brésilienne à la formulation de l’article 231 de la Constitution a été fondamentale : "un cadre juridique sans précédent dans le pays, fondamental pour garantir et protéger les droits des populations autochtones, en veillant à ce que les peuples autochtones reconnaissent leur organisation sociale, leurs coutumes, leurs langues, leurs croyances et leurs traditions, en plus du droit aux terres qu’ils occupaient traditionnellement".

Un héritage indélébile

Eunice Paiva décède en décembre 2018, laissant derrière elle un héritage puissant. Elle est saluée pour son rôle dans la défense des droits humains, mais aussi pour son engagement envers les populations les plus vulnérables du Brésil. En 2025, le président Luiz Inácio Lula da Silva crée le Prix Eunice Paiva pour la défense de la démocratie, une reconnaissance ultime de son combat.

Auprès de Trois Couleurs, Maud Chirio, historienne, affirme qu’Eunice Paiva était "reconnue comme une avocate et une militante des droits pour les populations autochtones, sans forcément que son nom soit associé, dans l’imaginaire collectif, à son mari Rubens".

C'est l'histoire d’une femme qui, confrontée à l’injustice, a choisi de se battre avec force et dignité.