Il y a une semaine, peut-être un siècle. Elle rentrait en France ce vendredi soir, remplie d'espoir après avoir côtoyé celui de 2 000 femmes palestiniennes et israéliennes. Hanna Assouline, réalisatrice du documentaire "Les Guerrières de la Paix" et créatrice de l'association féministe et pacifiste éponyme, avait monté une délégation, convié un groupe de femmes à rejoindre "l'appel des mères" du mouvement israélien Women Wage Peace (Les femmes œuvrent pour la paix) et de l’association palestinienne Women of the Sun (Les femmes du soleil).
Le 4 octobre dernier, elles ont marché aux côtés de ces militantes pour la paix, à Jérusalem, puis sur les rives de la mer Morte. Quelques heures plus tard, le Hamas assassinait ou kidnappait un nombre tristement inédit de civils israéliens. Depuis, la riposte massive. De part et d'autre, les morts et les blessés se comptent désormais par milliers.
Que reste-t-il alors de l'espoir martelé par ces mères frappées dans leur chair à chaque épisode du conflit ? Que doivent nous enseigner aujourd'hui, plus que jamais - ou que la semaine dernière à peine... - leur unité et leurs messages clamés d'une seule voix ?
Entretien avec Hanna Assouline, une porte-voix dont les mots justes et choisis leur font honneur.

Rencontre avec la figure de la paix Vivian Silver, désormais otage

Marie Claire : Dans quel contexte avez-vous créé le mouvement "Les Guerrières de la Paix" ?
Ça tourne !

Hanna Assouline : Le mouvement "Les Guerrières de la Paix" a été créé il y a deux ans, dans un moment précis où le conflit israélo-palestinien était en plein embrasement, et où, partout - sur les réseaux sociaux, dans les médias - on entendait des appels à la haine, des paroles très radicales, ou simplement, qui manquaient de complexité, et qui attisaient la haine entre les différentes communautés. Nous étions alors nombreuses, femmes juives et musulmanes, de toutes cultures, à se sentir orpheline d’une voix un peu plus nuancée, qui nous représenterait.

Quand je repense à toute la lumière et la force de ces femmes israéliennes et palestiniennes, cela me rassure. Elles sont l'espoir auquel je me raccroche.

Vous avez accompagné une délégation de femmes marcher pour la paix aux côtés de Palestiniennes et d'Israéliennes. Ce rassemblement a eu lieu trois jours avant les attaques du Hamas en Israël. Racontez-nous votre voyage. 

Nous avons marché le 4 octobre dernier auprès des militantes pour la paix, palestiniennes et israéliennes. À l'unisson, elles ont crié : "Assez, on veut offrir un autre avenir à nos enfants", qu'elles espéraient l'arrêt de ce cycle de violences et de haine.

Nous avons prolongé ces rencontres avec un voyage, au cours duquel nous avons écouté leurs récits forts, beaux, remuants, qui ont bousculé nos projections ou certitudes, et nous ont aidé à mieux comprendre la complexité de la situation. Nous avons été partout dans la région, notamment dans les kibboutz dans le sud d'Israël, frontaliers avec Gaza, qui ont subi quelques jours plus tard les massacres perpétrés par le Hamas. Dans le kibboutz de Be’eri, nous avons longuement échangé avec Vivian Silver, figure pour la paix [cofondatrice l'association Women Wage Peace notamment, qui apporte une aide humanitaire aux habitants de Gaza, ndlr]. Nous avons été bouleversées par son engagement, cette lueur dans ses yeux, cet espoir toujours vibrant, alors qu'à 74 ans, elle en a vu des guerres et des situations qui s'enlisent...

Vivian Silver a été enlevée par le Hamas samedi matin. Des informations contradictoires nous parviennent. Certaines nous disent qu'elle est morte, d'autres que ce n'est pas officiellement confirmé. Nous sommes en apnée, dans l'attente de savoir ce qu'il en est. Nous avons l'impression d'une "rupture dans l'espace-temps", pour reprendre l'expression de Delphine Horvilleur, qui exprime le plus justement ce que l'on ressent. Nous avons beaucoup pleuré, toutes ensemble.

À peine rentrées, vous apprenez les massacres de civils, déclenchant le début d'une nouvelle guerre. Qu'éprouvez-vous alors et depuis ?

De l'effroi, de la sidération, de la tristesse, et de l'inquiétude concrète pour nos proches. Des membres de ma familles sont sous les abris, d'autres de ma belle-famille sont morts. Nous sommes dans ce temps du deuil, et en même temps, on voit bien cette vague poindre en France, celle des querelles politiques, des propos indignes, des justifications ou relativisation. C'est un peu la double peine, le double coup de massue.

Il y a d'une part l'horreur, de l'autre, le sentiment qu'on ne sait pas être unis face à celle-ci, porter une seule et même voix d'indignation et d'humanité. 

Mais quand je repense à toute la lumière et la force de ces femmes israéliennes et palestiniennes, cela me rassure. Elles sont l'espoir auquel je me raccroche. Malgré la douleur, j'ai le sentiment vibrant que plus que jamais, ces voix doivent être entendues.

Alors qu'ici en France, à l’abri des conséquences directes de ce conflit, certains soufflent sur les braises, celles qui ont vécu ses conséquences dans leur chair, ont traversé des deuils, font preuve d’énormément de courage et de dignité.
Je ne suis pas en train de parler de trois hippies déconnectées de la réalité, qui font des marches utopistes, mais de femmes qui, de deux parts, ont enterré leurs proches à cause de ce conflit et qui sont plus légitimes qui quiconque à porter une voix. 
Ces derniers jours, êtes-vous en communication avec les femmes israéliennes et palestiniennes rencontrées ?
Bien sûr, nous ne cessons de leur demander des nouvelles. Certaines sont sous les abris, d'autres redoutent bien sûr la suite des événements. Cette bulle de femmes, cette solidarité extraordinaire, me chamboulent. Si seulement le monde pouvait ressembler à ces femmes. Et je ne suis pas en train de parler de trois hippies déconnectées de la réalité, qui font des marches utopistes, mais de femmes qui, de deux parts, ont enterré leurs proches à cause de ce conflit et qui sont plus légitimes qui quiconque à porter une voix.
Là-bas, elles et ils savent qu'ils n'ont pas d'autres solutions que de trouver un moyen de vivre ensemble sur cette terre. À part les fascistes qui ont des fantasmes de destruction totale de l’autre, tout le monde sait qu’aucun des deux peuples ne va s’évaporer.

Pour une paix durable, le pragmatisme des femmes sur le terrain  

Craignez-vous que ces attaques d'une violence inédite en Israël, puis l'actuelle riposte sur Gaza, fragilisent, de part et d'autre, leur militantisme pour la paix ?
Pour ces militantes de la paix, nous sommes pour l'heure, des deux côtés, dans le temps de la sidération et du deuil. Elles ne savent même pas encore combien de morts elles décomptent, et sont plongées dans l'incertitude par rapport à demain. Il est encore trop tôt pour attendre d'elle une mobilisation massive.
Mais je n’ai aucun doute sur le fait qu'elles vont continuer de se battre, et qu'après ce drame, la reconstruction doit passer par ces femmes étonnantes sur le terrain. 
Vos propos forts renvoient au rôle des femmes dans les processus de paix, dont elles sont largement écartées. Selon une étude réalisée par l'ONU-Femmes, sur les 31 processus de paix ayant eu lieu entre 1992 et 2011, elles ne représentaient que 4 % des signataires comme des médiateurs en chef, et 9% des négociateurs.*
Encore une fois avec la guerre, les femmes sont celles qui paient le plus lourd tribu. On parle de viols, de corps de femmes otages exhibés. Elles sont en première ligne de l'horreur, mais pas impliquées dans les processus de paix.
La résolution 1325 de l'ONU [Les conflits armés et les femmes, ndlr] le prouve : quand les femmes sont autour des tables de négociations, non seulement la paix advient plus rapidement, mais en plus, elle est plus durable et plus stable.
C’est tout le combat que je mène avec "Les Guerrières de la Paix" : faire entendre cette autre voix, celles des femmes, plus pragmatique. Car au-delà de la compassion, de l’amour de l’autre, la capacité de se mettre à sa place, elles portent un réel pragmatisme : la paix, c’est la seule issue possible.
Quelle responsabilité vous et nous incombent aujourd'hui ?
 
Plus que jamais, à notre échelle, nous nous devons de relayer et d'amplifier les voix de ces Palestiniennes et Israéliennes pour la paix. Il en va de notre responsabilité en tant que femme, féministe, humaniste, anti-raciste. Elles sont encore trop inaudibles et invisibles. Leur solidarité doit désormais prendre plus de place dans le débat public. Leur parole ainsi portée fera aussi réaliser à tout ceux qui ont des attitudes honteuses - mises en concurrence, relativisations, justifications de l'horreur... - leur propre manquement. Plus on met en lumière leur lumière, plus ceux qui ne sont pas dans cette même logique vont se sentir isolés.
 
Y a-t-il un message entendu lors de votre séjour pour la paix qui tourne en boucle dans votre esprit depuis votre retour et ce samedi noir ?
Du côté des militantes israéliennes comme palestiniennes, un même message m'a marquée. Ça fait des années qu'on nous présente ce conflit comme une opposition entre pro-israéliens et pro-palestiniens. En réalité, disent-elles, voici la vraie opposition : ceux qui luttent pour la paix et la justice, essaient de créer des ponts d'une part, et ceux qui continuent dans des logiques destructrices d'attiser la haine et semer la mort, de l'autre. Les pro-solutions contre ceux qui veulent nous embarquer collectivement dans l'horreur et l'impasse. 

*Source : Nations Unies. "Prévenir les crises et les conflits: Le rôle des femmes dans les processus de paix actuels"

En vidéo dans l'article, la bande-annonce du documentaire "Les Guerrières de la Paix", réalisé par Hanna Assouline.