Elle a fait partie du mouvement impressionniste, était soutenue par Edvard Munch, et fut même la peintre femme la plus renommée en Norvège à la fin du XIXe siècle. Pourtant, Harriet Backer est peu connue en France. Mais c'était sans compter sur le musée d'Orsay, qui lui consacre, à partir de ce mardi 24 septembre 2024, une exposition intitulée Harriet Backer (1845 - 1932). La musique des couleurs. L’occasion de (re)découvrir cette artiste, féministe avant l’heure.
Figure majeure de la peinture norvégienne, elle a marqué l’histoire par son art, mais aussi par son engagement en faveur des artistes féminines. À une époque où les femmes n’étaient pas considérées en Norvège comme des citoyennes à part entière, Harriet Backer a su s’imposer dans un milieu largement dominé par les hommes.
Une enfance tournée vers l’art
Harriet Backer est née dans une famille bourgeoise de Holmestrand, en Norvège. Elle et sa sœur, Agathe Backer Grøndahl, célèbre pianiste, bénéficient d’une éducation peu conventionnelle pour des jeunes filles de l’époque. Alors que la majorité des femmes étaient encouragées à se concentrer sur leur avenir domestique, les sœurs Backer étaient incitées à développer leurs talents artistiques, comme retrace le muséum national d'Oslo.
Si Harriet Backer montre un intérêt et un talent précoces pour l’art, elle se lance assez tardivement dans de véritables études artistiques. Ce n’est qu’en 1874, alors qu’elle a 29 ans, que la peintre prend la route pour l’école d’art de Munich. Aux côtés de Lambert Linder, elle étudie ce qui deviendra son sujet de prédilection : les intérieurs.
Paris, berceau de sa carrière et de son féminisme
C’est à Paris, ville où elle s’installe en 1878, que Harriet Backer prend véritablement son envol. À l’Académie Julian, une des rares écoles d’art à accueillir des femmes, elle trouve une communauté d’artistes féminines, dont la peintre Kitty Kielland, qui deviendra une alliée précieuse dans son combat pour la reconnaissance des femmes dans le monde de l’art. À l'époque, la plupart des académies d’art en Europe étaient réservées aux hommes, mais les femmes pouvaient recevoir des cours particuliers ou assister à des "cours de femmes", nous apprend le muséum national d'Oslo.
En 1880, avec son œuvre Solitude, Harriet Backer est acceptée pour une exposition au Salon de Paris (exposition officielle de l’École des beaux-arts de Paris). Le jury jugea le tableau de la Norvégienne excellent. Elle sera alors honorée d’un diplôme de mention honorable, une récompense qui marque le début de sa carrière et de sa reconnaissance.
L’arrivée de la peintre à Paris marque aussi un changement important dans son style. Inspirée par l’impressionnisme, les couleurs de ses toiles s’illuminent et s’éclaircissent, et les figures représentées interagissent avec les intérieurs et les jeux de lumière.
Une peintre qui donne une place aux femmes
Les œuvres d’Harriet Backer se distinguent par leur manière de représenter les femmes. Elle est l’une des rares artistes à ne pas réduire ses sujets féminins à des rôles décoratifs. Ses œuvres montrent des femmes dans des moments de calme, de réflexion, dans des scènes où elles apparaissent comme des individus autonomes. Le message semble clair : les femmes ont une vie intellectuelle et spirituelle tout aussi valable que celle des hommes.
Le féminisme d’Harriet Backer ne passe pas par des revendications, mais plutôt par sa peinture. Son art est une forme de résistance subtile aux normes de l’époque. Ses figures féminines existent pour elles-mêmes, dans des espaces où elles peuvent être pleinement elles-mêmes. Selon le muséum national d'Oslo, elle aurait d’ailleurs eu cette phrase : "Je pense que je sers le mieux la cause des femmes en me concentrant comme un homme".
Enseignement, transmission, émancipation
La carrière d’Harriet Backer est marquée par ses nombreuses expositions à Paris, Munich et en Norvège, mais son rôle d’enseignante est tout aussi essentiel. De retour dans son pays natal, en 1892, elle ouvre un atelier à Kristiania (Norvège) et forme plusieurs générations d’artistes, tels que Nikolai Astrup, Halfdan Egedius et Helga Ring Reusch. Elle est d’ailleurs soutenue par le collectionneur Rasmus Meyer et le mécène d’Edvard Munch, nous rappelle le musée d'Orsay.
L’atelier d’Harriet Backer devient un foyer artistique où elle partage sa vision moderne de l’art et de la place des femmes dans la société. Ses efforts pour promouvoir l’éducation artistique féminine la placent aux avant-postes du mouvement pour l’égalité des sexes dans le milieu artistique norvégien.
Une artiste reconnue de son vivant
Si Harriet Backer n’a jamais cherché la notoriété, elle a néanmoins obtenu une reconnaissance importante de son vivant. Ses œuvres sont primées à l’Exposition universelle de Paris en 1889, et elle reçoit de nombreuses distinctions en Norvège. En 1908, elle devient membre de l’Académie des beaux-arts de son pays, une position rarement accordée aux femmes à cette époque.
Aujourd’hui encore, son œuvre continue de rayonner dans le monde, notamment grâce aux expositions qui lui sont consacrées. La rétrospective Harriet Backer (1845-1932). La musique des couleurs se déroule à Paris, au musée d’Orsay, du 24 septembre 2024 au 11 janvier 2025.