Aujourd’hui encore, la marque Balenciaga se démarque par la vision audacieuse de chaque designer qui a continué à la façonner depuis que son iconique fondateur a tiré sa révérence en 1968, année de la libération des mœurs.

La haute couture est un grand orchestre que seul Balenciaga sait diriger, tous les autres créateurs que nous sommes suivons simplement ses indications

Couturier itinérant

Cristóbal Balenciaga naît en 1895 dans un petit village de pêcheurs du Pays basque, en Espagne. Sa mère, couturière de profession, lui donne le goût pour l’artisanat, tandis que son père, marin pêcheur, lui inspire un certain penchant pour la rigueur qui, plus tard, se traduira dans les silhouettes qu’il dessine pour les femmes. L'une des clientes de sa mère, la marquise de Casa Torres, devient son mentor, le forme au tailleur et l’envoie à Madrid pour qu'il y suive une formation en bonne et due forme.

De retour au Pays basque, après la fin de ses études, il ouvre sa propre boutique à Saint-Sébastien, à 24 ans à peine. En Espagne, le succès est rapidement au rendez-vous : la famille royale et l'aristocratie locale font partie de ses fidèles clientes. Au fur et à mesure des années 1920, il ouvre des succursales à Barcelone et à Madrid.

Mais le premier âge d’or de la maison n’est que de courte durée : en 1936, la guerre civile espagnole puis la dictature franquiste le contraignent à fermer ses boutiques et à se réfugier à Paris. C’est dans la ville lumière — qui elle-même se trouve à l’aube de l’occupation allemande — que Balenciaga prend le risque de tout recommencer à zéro en présentant une première collection haute couture à sa future clientèle parisienne en 1937.

La radicalité des nouveaux volumes

"La haute couture est un grand orchestre que seul Balenciaga sait diriger, tous les autres créateurs que nous sommes suivons simplement ses indications." Cette citation de Christian Dior témoigne du respect qu'il avait pour son confrère, même si leurs styles respectifs s’opposaient du tout au tout. En réponse au New Look cintré de Dior, Cristóbal Balenciaga propose des silhouettes fluides et droites qui enveloppent le corps de la femme sans jamais la restreindre.

Pendant les années 1950, ses créations jouant avec les codes des habits traditionnels espagnols plaisent autant que ses grands classiques. Comme son tailleur semi-ajusté et sa robe style Empire dont des actrices comme Maria Casarès, Marlene Dietrich et Ingrid Bergman raffolent. Même en exil, l’Espagne lui reste chère : ses robes d'Infante sont ainsi inspirées du portrait du XVIIe siècle de l'artiste espagnol Diego Vélazquez.

Les robes de flamenco, les tenues de matador et la dentelle — qui ponctue les châles traditionnels à mantille portés par les femmes lors des cérémonies de la Semaine sainte — font également partie de ses références. Dans les années 1960, ses créations deviennent de plus en plus épurées et permettent une liberté de mouvement jusque-là inédite. 

Résolues à libérer le corps de la femme de l’emprise des corsets, les silhouettes de Balenciaga se font plus larges, architecturales, basées sur différents volumes, cube, cercle et trapèze, ainsi que sur des influences antiques, dont les colonnes gréco-romaines qui inspirent l'iconique robe-tonneau.

Repenser la silhouette féminine du XXe siècle devient la raison d'être du couturier, qui, en 1968, tire sa révérence après avoir travaillé en exil à Paris pendant 30 ans. La légende veut que lorsque ses fidèles clientes lui demandaient où elles devaient désormais aller se vêtir, Balenciaga leur répondait simplement "Givenchy".

Renaissance et révolutions

Comme beaucoup de maisons de son époque, qui se sont endormies pour ne plus jamais se réveiller, Balenciaga aurait pu mettre la clé sous la porte pour de bon. Mais Jacques Bogart, homme d'affaires et mécène, en a décidé autrement. En 1986, une fois les droits de Balenciaga acquis, il nomme Michel Doma comme directeur artistique.

Celui-ci conçoit la première collection en 1987 et reste à la tête de la griffe pendant cinq ans. Face aux critiques mitigées, Michel Goma est remplacé par Josephus Thimister en 1992, qui redonne à Balenciaga son lustre d'antant.

Cinq ans plus tard, Nicolas Ghesquière se trouve sous les projecteurs de l’industrie du luxe en devenant le nouveau directeur artistique de la marque qui est rachetée en 2001 par Kering (ex-PPR). Durant cette période, Balenciaga connaît son premier succès de longue date depuis sa renaissance. Pendant quinze ans, Nicolas Ghesquière souffle un vent de rigueur et de futurisme sur la maison et révolutionne l’esthétique de la griffe en remettant le style iconique de son fondateur au goût du jour.

En 2012, il décide néanmoins de partir et Alexander Wang prend la relève en tant que directeur de la création. Pour sa première collection, qui défile à Paris en février 2013, Alexander Wang présente des silhouettes en hommage à l'héritage de Cristóbal Balenciaga — une ode qui lui a valu la reconnaissance de ses pairs. Mais son passage est de courte durée, puisqu'en 2015, c'est Demna qui reprend le poste. Le Géorgien, qui a fait ses gammes chez Maison Margiela et Louis Vuitton avant de lancer le collectif Vetements, exerce pendant un peu plus de neuf ans chez Balenciaga.

Là, il pousse à leur paroxysme les codes de Cristóbal Balenciaga, en les inscrivant dans une esthétique plus proche de la rue et d'une jeunesse qui souhaite défier les carcans imposés.

Féminité non genrée, silhouettes strictes, formes radicales et provocatrices… Les créations signées Balenciaga par Demna ont défendu une élégance audacieuse et moderne qui a rencontré sa cible, des stars — Isabelle Huppert, Nicole Kidman et Kim Kardashian en tête — au grand public.