Il y a les chefs de file de la couture française, ceux qui viennent tout de suite à l'esprit : Chanel, Dior, Jean Paul Gaultier... La maison Rochas, elle, se fait plus discrète. À l'écart, elle écrit depuis un siècle une histoire tout aussi fantastique que celle de ses consœurs. C'est en 1925, à Paris, qu'elle voit le jour sous l'impulsion de Marcel Rochas. Depuis, elle fait rimer haute couture et surréalisme. Mais Rochas, c'est surtout une marque synonyme de ce que les Anglo-Saxon-ne-s surnomment le "glitz and glamour", qui a un jour compté dans sa clientèle l'actrice Marlene Dietrich.
À cet héritage, Alessandro Vigilante a juré fidélité. Depuis sa nomination au poste de directeur artistique de Rochas, l'ancien de chez Gucci est à l'image de son actuel employeur : discret, mais fasciné par les personnages inspirants. Rencontre.
Marie Claire : Revenons en arrière. Comment avez-vous réagi quand le rôle de directeur artistique de Rochas vous a été proposé ?
Alessandro Vigilante : J'étais excité, surpris et honoré, car Rochas est une maison française, célèbre de surcroît. Si je ne m'y attendais pas, c'est parce qu'auparavant, j'ai travaillé avec des marques très différentes, avec une esthétique et un héritage qui n'ont rien à voir. Mon premier jour chez Rochas, je l'ai passé dans les archives de Marcel [Rochas]. Je voulais toucher les tissus, voir les croquis qu'il a créés, comprendre ses goûts.
Quelle idée vous faisiez-vous de cette maison avant d'y faire vos premiers pas ?
Je la voyais comme une marque très française et très attachée à l'idée d'élégance. Quand je pense à Rochas, je pense aussi à d'autres griffes tricolores de l'époque, comme Nina Ricci ou Patou. Des maisons qui ont moins de lumière que Balenciaga ou Dior, mais qui sont incroyables.
Quant à Marcel, je connaissais déjà son histoire et j'ai toujours pensé qu'il avait un vrai esprit marketing. Il était aussi à l'écoute des femmes et de leurs rêves. Monsieur Rochas a mêlé plein de courants artistiques dans ses créations : l'art déco, le surréalisme... Il avait aussi des liens avec les artistes de l'époque. Sa marque est très féminine et hyper forte. J'avais tout ceci en tête avant d'en prendre les rênes.
Quelles sont les valeurs insufflées par Marcel Rochas que vous avez à cœur de perpétuer ?
Marcel Rochas savait anticiper les désirs des femmes et je veux en faire de même. J'aime aussi l'envie qu'il avait de jouer avec la mode et de ne pas se prendre trop au sérieux.
Rochas par Alessandro Vigilante, nouvelle ère
Bien qu'historique, Rochas est plus discrète que d'autres maisons parisiennes. Mais la marque gagne en visibilité grâce aux célébrités qui portent vos créations. Est-ce une stratégie réfléchie ?
Ça l'est. Pour moi, c'est capital d'habiller des femmes de caractère et qui ont du talent. C'est un honneur de travailler pour ces incroyables actrices et chanteuses telles que Cate Blanchett, Amy Adams, Cynthia Erivo... J'aspire à créer des vêtements qui incarnent les émotions des femmes, alors quand l'une de ces personnalités choisit mes créations, cela signifie que je vais dans la bonne direction.
Je me préoccupe réellement des besoins des femmes et je respecte ce que leurs corps demandent. Parfois, cela signifie créer un vêtement proche des courbes pour que celles-ci soient mises en valeur ou parce que les clientes ont besoin de se sentir cajolées.
Je me préoccupe réellement des besoins des femmes et je respecte ce que leurs corps demandent
Cate Blanchett, Nicole Richie, Cynthia Erivo... Lequel des looks que vous avez créés pour une célébrité est votre favori ?
J'ai été très surpris lorsque Emma Stone, une des plus grandes actrices du monde à mes yeux, a porté un body avec de grandes épaulettes et une jupe en taffetas vert clair pendant la promotion de Pauvres Créatures. Ce look était super, d'autant qu'il provenait de ma toute première collection pour Rochas.
J'ai aussi signé une silhouette sur-mesure que Philippine Leroy-Beaulieu a portée lors du Festival de Marrakech 2024. C'est à cette occasion que je l'ai rencontrée. J'adore quand mon métier donne lieu à de belles connexions et c'est le cas avec elle. Nous avons les mêmes centres d'intérêts : j'ai déjà invité Philippine à assister à un spectacle de danse à l'Opéra et nous avons un respect mutuel pour nos accomplissements respectifs.
Dites-nous tout sur le processus de création d'une tenue de célébrité. Est-ce que les VIP donnent leur impulsion sur vos designs ?
Tout dépend de l'événement. Je commence toujours par discuter avec la célébrité et après coup, je propose plusieurs croquis avec des silhouettes distinctes au niveau de la forme, différentes options de couleurs et de tissus. Travailler avec des stars, c'est très facile pour moi. J'ai été Chef des célébrités chez Gucci au côté d'Alessandro Michele et j'ai occupé le même poste chez Dolce & Gabbana. Le LACMA Art+Film, les Oscars, les Golden Globes, le Festival de Cannes... Les tapis rouges n'ont aucun secret pour moi.
Même avec ce curriculum vitae, vous arrive-t-il de rencontrer des difficultés lors de collaborations avec des VIP ?
Oui, absolument ! Je me souviens avoir été challengé par une très grande actrice... Mais ce que je retiens, c'est qu'elle m'a énormément appris. Grâce à elle, j'ai compris combien il est important de prendre en considération ce qu'une star veut couvrir ou dévoiler. C'était très intéressant. J'ai travaillé étroitement avec elle pendant un an, beaucoup de silhouettes sur-mesure sont nées de cette collaboration, mais c'est vrai que par moments, j'ai dû repenser mes designs, car je n'allais pas dans la bonne direction. C'était délicat, mais à la fin, nous parvenions toujours à trouver des solutions.
En quoi ces apparitions de stars en Rochas sont importantes pour les ventes de la maison ?
C'est capital, parce que ces célébrités, du fait de leur notoriété, ont une grande communauté, notamment sur les réseaux sociaux. Et elles ont le pouvoir de donner le ton. Nous n'avons que des clientes célèbres et respectées. D'ailleurs, elles sont à l'image de la femme Rochas : elles ne se veulent pas de silhouettes trop sexy, elles sont cérébrales, confiantes, elles ne sont pas "show off", mais elles ont de l'humour.
Je me souviens avoir été challengé par une très grande actrice... Mais ce que je retiens, c'est qu'elle m'a énormément appris
Travailler avec des célébrités, vous le faisiez bien avant d'arriver chez Rochas. Lesquelles vous ont le plus marqué ?
De ma période Dolce & Gabbana, assurément Monica Bellucci, Eva Herzigová, Jennifer Lopez et Kylie Minogue dont j'ai assuré la tournée Kiss Me Once. Chez Gucci, la plus grande star que j'ai habillée était Madonna. J'ai imaginé tous les vêtements signés Gucci du Rebel Heart Tour, en 2015, dont l'inspiration était l'artiste mexicaine Frida Kahlo. Je me souviens être allé à New York pour assurer ses essayages, c'était incroyable. Il était minuit ! J'ai ensuite observé les répétitions avec les danseur-euse-s, c'était merveilleux.
...Ce doit être le moment le plus inoubliable de votre carrière ?
J'ai aussi un très bon souvenir de ma rencontre avec Emma Stone, en 2015. C'était mon actrice favorite à ce moment-là. Je l'attendais dans le bureau de son styliste, elle a ouvert la porte et m'a dit : "Salut !" avec un grand sourire. Demi Moore aussi m'a marquée. Ce jour-là, j'étais chez Salma Hayek, elle a demandé à ses convives de se rassembler dans le salon pour venir voir mes croquis. Je n'avais pas conscience que parmi ses ami-e-s, il y avait Demi Moore, donc, mais aussi Lupita Nyong'o et Charlotte Casiraghi.
J'adore mon métier. J'aime créer des vêtements pour les vendre, mais aussi pour les performeur-euse-s, pour le cinéma... J'étais danseur autrefois. Il y a beaucoup de points communs entre la mode, la danse et la musique. Ça m'amuse.
Vous êtes entouré de stars au quotidien. Enfant, quelle était l'icône que vous admiriez et pourquoi ?
Sylvie Guillem. C'est la meilleure danseuse au monde à mes yeux. Et puis petit, j'étais amoureux de Victoria Beckham. Aujourd'hui encore, quand je vois son style, je la trouve iconique.
Y a-t-il une star que vous n'avez pas encore sublimée et que vous avez dans votre ligne de mire ?
Oui, mais elle a une exclusivité avec Saint Laurent (rires). Je rêve d'habiller Zoë Kravitz.
Vous l'avez dit, les tapis rouges vous sont familiers. Peut-on s'attendre à voir des stars en Rochas par Alessandro Vigilante au Festival de Cannes 2025 ?
Let's see !