Depuis plusieurs années, Alexeï Navalny était considéré comme l’opposant numéro un de Vladimir Poutine. En 2020, il survivait de justesse à un empoisonnement à un agent neurotoxique, et se retrouvait quelques mois plus tard à purger une peine de prison de 19 ans pour "extrémisme". Sa mort, survenue le 16 février 2024, a été annoncée par le Kremlin, expliquant que "tous les gestes de réanimation nécessaires" avaient été pratiqués. Une version que ne croient pas Ioulia et Dasha Navalnaya, respectivement épouse et fille de l’opposant russe.

Ioulia Navalnaya et "l’impossibilité de croire Poutine"

Née en juillet 1976, Ioulia Borisovna Abrosimova épouse Alexeï Navalny en 2000. Économiste diplômée de l’Académie économique de Plekhanov, elle mène de front une vie de famille et politique auprès de son mari. L’empoisonnement de ce dernier en 2020 la fera sortir de l’ombre. Dans un message, elle s’adressait directement à Vladimir Poutine. "Je m’adresse officiellement à vous, en demandant la permission de transporter Alexeï Anatolievitch Navalny en République fédérale d’Allemagne", écrivait-elle.

Le 16 février 2024, Ioulia Navalnaya assiste à la 60e Conférence de Munich sur la sécurité. Kamala Harris, la vice-présidente des Etats-Unis, s’apprête à prononcer un discours lorsque la nouvelle de la mort d’Alexeï Navalny est annoncée. Elle n’a donc pas eu d’autre possibilité que d’ouvrir son intervention sur "la terrible nouvelle", dont elle n’avait pas encore confirmation. Courageusement, Ioulia Navalnaya lui succède à la tribune quelques minutes plus tard. "Je me suis demandé si je devais partir, puis je me suis dit qu’à ma place, Alexeï serait resté", déclare-t-elle en préambule.

"Depuis des années, on sait qu’on ne peut pas croire Poutine, continue-t-elle. Mais si c’est vrai, alors je veux vous dire : qu’ils sachent qu’il n’y aura pas d’impunité. (…) Je m’adresse à la communauté internationale : faisons bloc pour lutter contre ce fléau, contre ce régime. Poutine devra être personnellement tenu responsable des atrocités commises dans notre pays ces dernières années". Une courte intervention accueillie par une standing ovation.

Dans une courte vidéo diffusée le 19 mars 2024, juste après la réélection de Vladimir Poutine, elle a appelé ses sympathisants à être "patients" et à "aller de l’avant". "Ne cédez pas, la Russie sera libre, a-t-elle déclaré. Les élections sont passées, mais rien n'est fini. Au contraire, nous devons nous serrer les coudes et travailler plus que jamais pour changer le régime".

Dasha Navalnaya, déjà engagée

À seulement 23 ans, Dasha Navalnaya est l’une des voix les plus importantes de l’opposition russe. Née en 2001, la jeune femme étudie depuis cinq ans aux Etats-Unis, dans la prestigieuse université américaine de Standford (Californie). En 2021, elle reçoit le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit au Parlement européen, au nom de son père emprisonné.

"Lorsque j'ai écrit à mon père pour lui demander: 'Qu'est-ce que tu veux que je dise exactement dans le discours, de ton point de vue ?' Il m'a répondu: 'Dis que personne ne peut oser assimiler la Russie au régime de Poutine'", déclare-t-elle au moment de recevoir le prix. L’année suivante, elle dénonce sur CNN les conditions de détention de son père. "Les gens ne sont pas autorisés à communiquer avec lui, et ce type d'isolement est une véritable torture psychologique. (…) Il n'a qu'un tabouret en fer, cousu au sol. Parmi ses possessions personnelles, il est autorisé à avoir une tasse, une brosse à dents et un livre".

Lors d’une conférence Ted en octobre 2023, Dasha Navalnaya avait décrit quelques moments étranges de son enfance. "Quand j’étais plus jeune, je ne comprenais pas vraiment comment mon père pouvait être aussi optimiste sur son avenir. Il était constamment menacé, arrêté, suivi, expliquait-elle. (…) Notre famille était suivie par des hommes entièrement vêtus de noir, portant des casquettes de baseball et un sac banane ridicule lorsque nous allions au cinéma".

Elle n’avait également pas hésité à traiter Vladimir Poutine de "lâche". "Mon père est un homme incroyablement courageux et altruiste, et je ne peux que rêver d’être comme lui un jour. Il ne fuit pas et ne se cache pas. Et contrairement à mon père, Poutine est un lâche. Un lâche qui, avec ses complices, ne peut plus se soustraire aux conséquences de ce qu’ils ont fait à mon pays et à la démocratie dans le monde entier", avait-elle fustigé.

Un combat de famille

Si Ioulia Navalnaya s’est exprimée le jour même de la mort d’Alexeï Navalny, Dasha Navalnaya a attendu le 1er mars 2024 avant de poster sur son compte Instagram une photo d’elle avec son père, et un texte d’hommage. "D’une manière ou d'une autre, il est arrivé que tout le monde dise généralement ‘mes parents sont mes modèles’. Bien que, dans mon cas, cela soit vrai, écrit-elle. (...) Papa, tu as été un exemple pour beaucoup de personnes dans le monde. (…) Tu as toujours été et resteras à jamais mon exemple. Mon héros".

Désormais, les deux femmes avanceront main dans la main en mémoire d’Alexeï Navalny, déterminées comme jamais à faire tomber le régime de Vladimir Poutine, qui continue ses intimidations. Le 19 février 2024, trois jours après la mort de l’opposant, son équipe révélait que ses proches s’étaient vu refuser l’accès au corps. "Ils n'ont pas été autorisés à entrer. L'un des avocats a littéralement été repoussé à l'extérieur. Lorsque on a demandé au personnel si le corps d'Alexeï était là, il n'a pas répondu", avait déclaré sur les réseaux sociaux Kira Iarmich, porte-parole d’Alexeï Navalny.