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"Elle savait qu’il passait son temps à l’épier" : le procès du féminicide de Julie Rubod, ou celui des cyberviolences conjugales

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Procès du féminicide de Julie Rubod
Réclusion criminelle à perpétuité. C'est la peine à laquelle a été condamné Felson Cachet ce vendredi 11 avril 2025 après quatre jours de procès auquel "Marie Claire" a assisté. Quatre jours qui ont permis de dessiner les contours du meurtre perpétré à l'encontre de Julie Rubod, ex-conjointe du prévenu et mère de son fils, mais aussi, de mettre en lumière la cybersurveillance insoutenable que subissait la victime depuis leur rencontre.

À l'issue de quatre jours de procès, Felson Cachet a été condamné par la cour d’assises de l’Isère, ce vendredi 11 avril 2025, à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une période de sûreté de 22 ans. Il a été reconnu coupable du meurtre de Julie Rubod, son ex-conjointe de 26 ans et mère de leur fils âgé de trois ans, le 7 mai 2022, sur un parking de Bourgoin-Jallieu (Isère).

Ce procès était aussi celui des cyberviolences dont était victime la jeune maman. En plus de l’homicide volontaire, Felson Cachet avait été mis en examen pour atteinte à la vie privée par localisation, alors qu’étaient retrouvés dans la voiture de la victime et dans son porte-monnaie, des systèmes d’écoute et un tracker GPS.  

Nombreux sont les récits de violences où l’usage d’outils numériques est pointé du doigt. Souvent cumulées à des violences physiques, sexuelles ou économiques, les cyberviolences sont quasi-systématiques dans ces dossiers : en 2018, le Centre Hubertine Auclert révélait que 9 victimes de violences conjugales sur 10 subissent aussi des violences numériques.   

Et ce procès l’a démontré : les technologies exacerbent les maltraitances et facilitent le contrôle coercitif. "Elles permettent à l’agresseur de priver la victime de son agentivité, d’asseoir son emprise et de coloniser tous les espaces qu’elle occupe", précise Laure Salmona, directrice et cofondatrice de Féministes contre le cyberharcèlement, aussi autrice de Politiser les cyberviolences et 15 idées reçues sur les cyberviolences et le cyberharcèlement (Ed. Le Cavalier Bleu, 2023 et 2025). Dans le cas de Julie Rubod, la cybersurveillance, "violence facilitée par les technologies numériques", a permis à son ex-conjoint de la retrouver. Et de la tuer. 

Au terme de quatre jours de procès, ces violences inaudibles ont été exposées au grand jour. Retour sur un procès qui a rappelé que les violences en ligne appartiennent au réel, et n'ont rien de virutel. 

Des violences physiques, psychologiques et une surveillance quotidienne  

"Peut-être qu’un jour il me tuera." En cette matinée du 9 avril 2025, la capitaine de police Estelle Nervi, en charge d’enquêter en mai 2022 sur le meurtre de Julie Rubod après la découverte de son corps, relate les propos que lui aurait tenu un collègue de la victime. Ses mots emplissent la salle d’audience quasi-comble en ce deuxième jour de procès aux Assises de l’Isère. Ce collègue n’est pas le premier à relater des faits de cybersurveillance. Tout au long du procès, l’espionnage dont Julie Rubod était la cible - en plus des violences physiques commises dès les premiers jours de sa rencontre avec Felsion Cachet - est raconté, détaillé. 

Un tracker a par exemple été retrouvé dans l’appui-tête du siège conducteur de sa voiture. Si l’on en croit un témoin et ami de Julie Rubod, cette dernière soupçonnait sa présence. "Elle avait aussi parlé de micros." Justement, un système d'écoute sera retrouvé dans son porte-monnaie, laissé en évidence, sans doute pour ne pas alerter le mis en cause. Une carte SD contenant cinq heures d’enregistrements, notamment de disputes, et des photos de la voiture de la victime sera aussi découverte.  

"Dans les violences intrafamiliales, la surveillance par le biais de logiciels espions, de caméras, de micros et dispositifs de géolocalisation est très courante." Laure Salmona


Les quatre jours de procès ont permis de confirmer ce climat de surveillance. "Elle savait qu’il passait son temps à l’épier", complète une collègue de Julie Rubod, lors de sa déposition en 2022. "Elle faisait le tour de sa voiture pour voir s’il n’avait pas mis des mouchards." Autre exemple rappelé à la barre : la victime plaçait son automobile en hauteur pour vérifier qu’un GPS n’était pas installé dessous.

L’angoisse de Julie Rubod est décrite pendant quatre jours. Et les excuses que donnent Felson Cachet à cette surveillance massive ? Des suspicions - qualifiées au procès de "délirantes" par un psychologue et expert - de violences de la part de la famille maternelle sur leur fils.  

"Pourquoi tu cherches à savoir si tu es espionnée si tu n’as rien à cacher"

Felson Cachet se décrit lui-même comme "trop macho", lorsqu’il justifie sa rupture avec son "premier amour". Elle aussi, il l'avait espionnée : après ce qui semble avoir été une brève histoire sentimentale, à la séparation, l’accusé qui n'avait pas de nouvelles de la jeune femme, n’aurait pas hésité à fouiller dans le registre des appels téléphoniques de cette dernière, qu'il a aussi violentée.

L’enquête de personnalité révèle qu’il l'avait "attrapé par les cheveux". Felson Cachet apparaît constamment dans un ”processus de contrôle”, un besoin "d'assujettissement", affirme le psychologue Raphaël Loiselot, interrogé mardi 8 avril par la Cour. Pour Sophie Ferrucci-Grevaz, autre psychologue questionnée, les comportements de l’ex-conjoint de Julie Rubod sont la "manifestation d’une jalousie pathologique" et de "vécus persécutoires".

Car Felson Cachet croit, à l’époque, que la mère de son fils le trompe et maltraite, avec les siens, le petit garçon. Qu'elle a "des projets machiavéliques" à son encontre. Alors, il l’enregistre avec son téléphone, place des micros chez elle. "Il a pris soin de la surveiller à distance", confirme la capitaine de police lors de son audition, mercredi 9 avril.  

Pour certains experts interrogés, Felson Cachet n’est pas touché par un trouble psychique. Il avait l'intention de donner la mort à Julie Rubod ce soir-là. Pour d'autres à la barre, une "structure de personnalité pathologique dès le départ" semble présente, une altération partielle de la conscience. Des "délirantes", pour le psychologue Raphaël Loiselot. Mais la psychiatre Sabine Mouchet note, elle, une "fausseté du jugement", une "atmosphère de complot", des "interprétations erronées", et peu d’empathie. Surtout, une totale inversion de la culpabilité, comme c'est aussi le cas dans d'autres de violences conjugales. "Pourquoi tu cherches à savoir si tu es espionnée si tu n’as rien à cacher", demandera-t-il à la victime par message.  

La nécessité de repenser l’utilisation des nouvelles technologies 

Cette cybersurveillance peut sembler presque inoffensive, tant elle est répandue. "Dans les violences intra-familiales, la surveillance par le biais de logiciels espions, de caméras, de micros et dispositifs de géolocalisation est très courante", reprend Laure Salmona. 21% des femmes victimes de violences conjugales déclarent avoir été surveillées à distance sans leur accord par leur partenaire ou ex-partenaire via un logiciel espion (Centre Hubertine Auclert, 2018). Mais cet espionnage n’est pas anodin, il est "façon d’être dans la maitrise complète de l’autre", analyse l’avocate de la famille de la victime, Me Catherine Bourgade.

"Le numérique est détourné en permanence par les agresseurs pour exercer surveillance, contrôle et emprise", dénonce Laure Salmona. "Souvent prises isolément et considérées comme anodines, les cyberviolences sont un mécanisme qui créent un continuum de violences, qui peuvent mener au féminicide", confirme à Marie Claire l’avocate Khadija Azougach, qui défend des victimes de violences, mais n’a pas assisté à ce procès.

Dans le cas du féminicide de Julie Rubod, sa cybersurveillance a permis à un homme condamné deux fois pour violences conjugales, et contre qui elle avait porté trois fois plainte, de la situer géographiquement, le soir de son meurtre. Comme d’autres avant elle, Julie Rubod avait alerté sur cette cybersurveillance.

Cette année 2022, sur 118 femmes victimes de féminicides, dont Julie Rubod, 65% avaient signalé des violences antérieures aux forces de sécurité et, parmi elles, 79% avaient déposé une plainte, selon les chiffres du Ministère de l’Intérieur.

Dans l'espoir d'une prise de conscience, Laure Salmona rappelle : "Les technologies ne sont pas neutres. 80% des ingénieurs qui travaillent dans le domaine du numérique sont des hommes. Elles sont le reflet des sociétés au sein desquelles elles sont développées, amplifiant les rapports de domination existants." Et de lancer un appel : "Il est nécessaire de se mettre à les concevoir en prenant en compte les risques d’utilisation malveillante, notamment à l’encontre des femmes."

[Dossier] Le féminicide, un meurtre au-delà des violences conjugales - 81 articles à consulter
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