"Freedom", clame une Kamala Harris rayonnante sur un mur d'affiches à Chicago. "Freedom", comme le tube de Beyoncé que Trump a voulu s'arroger. Comme le Mouvement de Chicago pour la liberté (Chicago Freedom Movement) de Martin Luther King, en sa croisade pour les droits civiques.

Dans cette ville qui accueille la convention démocrate en charge d 'investir la candidate Kamala Harris pour la course présidentielle, le Loop (centre-ville) baigne dans une "Kamalamania" joyeuse. Une femme s'apprête à traverser, une promesse sur son T-shirt : "We're not going back" ("On ne revient pas en arrière"), cri de ralliement de la vice-présidente en campagne.

Et depuis que la star britannique Charli XCX a posté son fameux "Kamala is brat" sur X ("Kamala est une sale gosse"), "brat" est devenu le gimmick d'une génération.

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La génération Z, actrice clé de cette élection

Jermaine Jackson JR.

L'annonce du retrait de Joe Biden le 21 juillet 2024 au profit de sa vice-présidente a provoqué un bond de 20 points dans les sondages auprès des 18-34 ans, et 100 000 inscriptions de jeunes sur les listes électorales en quarante-huit heures (selon GenZ Lab/Edelmann).

Sur State Street, deux vingtenaires en tailleur-pantalon noir se pressent vers le United Center, salle omnisports où se tient la convention démocrate. L'une d'elles s'arrête devant le mur d'affiches de Kamala, beau comme une pochette d'album. "Ce que nous vivons est historique", se réjouit-elle.

En cette fin d'été, la menace du retour de Trump est pourtant bien réelle, mais Chicago se concentre sur l'organisation de la victoire de Harris en ciblant les 41 millions de jeunes électeurs. Rien n'est gagné. Car la génération Z, la plus diverse et éduquée de l'histoire américaine, est aussi celle qui vote le moins : 53 % de cette classe d'âge affirment qu'ils iront voter (contre 70 % de boomers).

Je vois quelqu'un qui me ressemble. Le fait qu'elle soit noire et d'origine sud-asiatique va inspirer les futures générations de femmes qui pensent à se présenter aux élections, le rêve devient possible.

Depuis 2016, Cathy J. Cohen, politologue et professeure à l'Institut de sciences politiques de l'université de Chicago, dirige GenForward, une étude qui analyse les comportements politiques des 18-34 ans.

"La course sera très serrée, décrypte-t-elle. Mais si on réussit à mobiliser les jeunes adultes, en particulier la génération Z, ils ont le potentiel pour faire d'elle la prochaine présidente. La question est de savoir si Mme Harris peut élaborer un programme qui réponde à leurs préoccupations. Bien sûr, l'avortement et les sujets liés au contrôle de leur corps sont des enjeux majeurs. L'environnement et l'économie également. Mais pour eux, l'inflation est aussi le thème le plus important de cette élection."

Dans la nuit du 10 septembre dernier, Taylor Swift appelait sa communauté de 283 millions de fans sur Instagram à voter pour Kamala. De quoi faire basculer une partie de la jeunesse ?

Chicago est un bon terrain pour prendre le pouls de cette génération sur le pied de guerre. Démocrate depuis 1932, bastion des luttes ouvrières, la ville a élu en 2019 Lori Lightfoot, première maire racisée et lesbienne, puis Brandon Johnson en 2023, prof, syndicaliste, afro-américain.

C'est aussi le fief de Barack Obama qui, à Grant Park, lors de sa victoire en novembre 2008, a clamé son mythique "Yes, we can". Le rêve américain.

Sur cette photo : Jessica Posey, 26 ans (à g.), et Sydney Smith, 26 ans, à la manifestation pro-choix le 18 août, à Chicago, où l'IVG est légal. Le 5 novembre, elles voteront. L'artiste Tyesha Moores, 29 ans. Ses photos sont exposées à "Into Act!on 2024", événement organisé sur le thème du vote. Elle craint le retour de Donald Trump.

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Mariah Cooley, incarne ce mythe du "tout est possible"

Jermaine Jackson JR.

Diplômée de l'université Howard, à Washington DC, campus historiquement noir et berceau des élites racisées américaines, elle est membre de la très influente sororité Alpha Kappa Alpha (AKA).

On s'est donné rendez-vous dans un parc au bord de la Chicago River. En tailleur bleu pâle, Mariah arrive accompagnée de Havellyn Felder, 20 ans, une copine AKA qui travaille à la Maison-Blanche dans l'administration Biden. Mariah, elle, a été stagiaire dans l'équipe de Kamala Harris.

En 2021, sa ville natale, Peoria, Illinois, était la dixième la plus dangereuse des États-Unis. La violence par arme à feu y est la première cause de mortalité des 15-24 ans, et la deuxième des 0-14 ans. La jeune femme avait 16 ans quand son cousin a été tué. Son engage-ment dans March For Our Lives ("Marcher pour nos vies"), organisation qui lutte contre la violence armée, date de cette époque.

Elle est également salariée à plein temps du Community Justice Action Fund, ONG qui opère dans les communautés affectées par la violence. Sa mère ne cessait de lui répéter : "Les bouches qui restent fermées ne mangent pas." 

Une politicienne qui sert le peuple 

Mariah a retenu la leçon. "Toutes les seize heures, dans ce pays, une femme est tuée par arme à feu, le plus souvent une femme noire, le plus souvent par un conjoint. La police tue cinq fois plus de Noirs." L'histoire personnelle de la championne démocrate a, chez Mariah, une résonance particulière.

Mariah a été élevée par sa mère qui travaillait. "Kamala Harris aussi. Son humilité vient de là. Le quotidien des Américains, elle l'a vécu. Elle sert le peuple, pas son ambition personnelle. Sa carrière de procureure, de sénatrice, de vice-présidente prouve qu'elle est capable de fermeté. Capable de diriger les États-Unis."

Sur cette photo : Mariah Cooley, 23 ans, est membre du Conseil d'administration de March for Our Lives, une organisation créée par des jeunes de la génération Z qui milite pour le contrôle des armes à feu. Son cousin a été tué en 2017.

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"Faire quelque chose contre l'injustice"

Jermaine Jackson JR.

Dans son discours d'acceptation d'investiture démocrate, Kamala Harris a mentionné sa mère qui lui a "appris à ne pas se plaindre de l'injustice mais à faire quelque chose contre l'injustice". Mariah, comme toutes les jeunes activistes de la démocratie que nous rencontrons, applique ce précepte.

Ashley Clark, 22 ans, était en première à Chicago quand, en février 2018, à Parkland, Floride, 17 lycéen·nes ont été tués, et 15 autres blessé·es dans ce qui est, à ce jour, la plus grande tuerie de masse en milieu scolaire.

Elle s'est engagée auprès de Voters of Tomorrow, une organisation qui représente les jeunes dans les instances politiques. "Le nombre d'étudiant·es qui a rejoint notre organisation dans les universités a grimpé en flèche quand Kamala Harris est entrée dans la course, indique Ashley. Elle représente le progrès, elle fait avancer ce pays, il faut profiter de cet élan. Le vote des jeunes peut être décisif. Les faire voter, c'est ce à quoi nous nous employons."

On accompagne Ashley au Hyatt, QG des équipes démocrates de la Convention, pour retrouver ses camarades : Santiago Mayer, fils d'immigrants mexicains, 20 ans, fondateur de Voters of Tomorrow. Justin Meszler, 22 ans, et Bayly Hoehne, 16 ans, la plus jeune, qui arrive de Washington DC en short, joues rouges, cheveux blonds noués à la va-vite. Elle avait 9 ans quand elle a participé, avec sa mère syndicaliste, à la Marche des femmes en 2017. "Ça a été un déclic."

Sur cette photo : L'artiste Tyesha Moores, 29 ans. Ses photos sont exposées à "Into Act!on 2024", évènement organisé sur le thème du vote. Elle craint le retour de Donald Trump.

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Des manifestations pro-avortement aux allures de démocratie

Jermaine Jackson JR.

À quelques rues de l'hôtel de luxe, une manifestation pro-avortement a été organisée par une coalition d'associations féministes et anti-guerre (à Gaza). Sur Michigan Avenue, les forces de police, plus nombreuses que la petite centaine de manifestant·es, tapissent les trottoirs.

La manifestation ressemble à un exercice de démocratie. Distribution de bouteilles d'eau, crème solaire, petits livrets sur les droits des manifestant·es. Les pancartes pro-choix, "Shout Your Abortion"("Crie que tu as avorté") narguent la Trump Tower qui s'érige à quelques mètres, de l'autre côté du pont enjambant la Chicago River. 

"J'ai avorté, je me suis sentie isolée, alors que je vis ici, en Illinois, où l'avortement est légal", raconte Sydney Smith, 26 ans. Jessica Posey, 26 ans, autrice de théâtre et actrice, a grandi en Floride, un État où l'avortement est illégal au-delà de six semaines de grossesse. "Toutes les questions de justice sociale sont liées, santé, droits reproductifs, violence policière. L'avortement est un privilège économique et racial. Si on en a besoin, on ne peut compter que sur nous-mêmes et sur nos communautés, pas sur les politiques."

Elles voteront, ne disent pas pour qui. "On nous dit que cette élection est historique, sans précédent. Vous savez quoi ? J'en ai marre de faire l'Histoire." Une présidente racisée créerait un précédent, pourtant.

Bronzeville, un territoire abandonné des politiques

Cap sur Bronzeville, dans les quartiers sud – le South Side –, berceau de la culture afro-américaine à Chicago. De la musique s'échappe d'un groupe de conteneurs multicolores. C'est Boxville, un petit marché créé par Ajai Frazier, 36 ans, où les conteneurs abritent des fonds de petits commerces tenus exclusivement par des Noirs.

De la street food savoureuse et équilibrée, des bougies et parfums artisanaux, une librairie, les commerçants sont du quartier, les seuls à la ronde dans ce territoire abandonné des politiques où les écoles publiques ferment les unes après les autres, où "les grands arbres sont rasés pour que les hélicoptères voient ce qui s'y passe", raconte un habitant du "hood".

Une table d'inscription sur les listes électorales a été installée, désertée. Ajai, dynamique entrepreneuse à qui on ne la fait pas, "n'était pas d'accord". "La politique, ça commence dans ta communauté, sur le terrain." June acquiesce : "À quoi ça sert de voter ? Notre vote ne compte pas."

Sur cette photo: de gauche à droite : Alyssa Manthis, 21 ans, Chloe Chiles Troutman, 20 ans, Alexandria Porter, 21 ans, étudiantes à l'Institut d'études politiques de l'Université de Chicago. Elles ont participé à l'organisation du festival.

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Une jeunesse qui s'identifie et se mobilise

Jermaine Jackson JR.

Retour dans le Loop, où des étudiant·es à l'Institut d'études politiques de Chicago ont organisé le Festival du vote de la jeunesse (Youth VoteFest !). 

"Être pessimiste, c'est plus facile que d'être optimiste, rétorque Alyssa Manthis, 21 ans. Nos institutions sont mal en point, mais je pense que mon vote compte." Dans le bâtiment gothique de l'Epiphany Center for the Arts où se déroule l'événement, une professeure s'adresse solennellement aux jeunes venus de 180 universités du pays : "Vous représentez la chance que ce pays reste une démocratie comme il l'est depuis 250 ans. Votre responsabilité est grande : faire entrer les jeunes dans la discussion sur les lois de ce pays."

La foule rassemblée offre le visage d'une Amérique que Trump ne pourra effacer: multiculturelle, intelligente, ambitieuse, humaniste. Une foule qui fait croire à ce rêve américain si paradoxal.

Alyssa Manthis est étudiante boursière, en troisième année de Global Studies et d'études religieuses. "Qu'une femme noire puisse devenir présidente est incroyable. Pour les plus jeunes, voir des gens comme vous, ça pousse à s'engager. La représentation, c'est tout." Alyssa est lucide : "Kamala Harris n'est pas la candidate parfaite, mais je ne suis pas sûre que ne pas voter du tout soit la bonne solution."

Sur cette photo: Ashley Clark, 22 ans, dirige les sections nationales de l'organisation Voters of Tomorrow, fondées par un lycéen, et animées par des moins de 25 ans. Augmenter la participation au vote de sa génération est son objectif jusqu'au 5 novembre.

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Le rôle des femmes noires dans ces élections

Jermaine Jackson JR.

La politologue Cathy J. Cohen souligne le rôle des femmes, en particulier noires, dans la course de Harris à la Maison-Blanche, "les électrices les plus fidèles du parti démocrate. Nous avons demandé aux femmes noires si elles soutenaient Biden : elles n'étaient que 34 %. Quand nous avons posé la question après l'annonce de la candidature de Harris, ce chiffre a grimpé à 64 %". 

La professeure insiste sur l'effet contagieux de la mobilisation. "Elles peuvent augmenter leur impact de manière exponentielle grâce aux liens qu'elles entretiennent dans leurs communautés. Non seulement elles voteront, mais elles augmenteront le taux de participation."

Sur cette photo: Mobilisation pour pousser les jeunes à voter : à l'exposition "Into Act!on 2024", la nail artist Ash Crowe pose des ongles au message explicite : "vote" 

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Des étudiants déçus par l'administration de Joe Biden

Jermaine Jackson JR.

Chloe Chiles Troutman, 20 ans, colocataire d'Alyssa, est en troisième année de Sciences politiques. Elle a grandi entre Chicago et le Midwest rural, dans une famille d'agriculteurs.

Que Harris ait choisi Tim Walz comme colistier la réjouit : "Il était gouverneur du Minnesota quand George Floyd a été tué. Que sur son impulsion, une ville comme Minneapolis remette en question les méthodes de la police démontre son approche du pouvoir." 

La haine qui divise le pays l'inquiète. "Je pense que l'un des dossiers les plus importants pour Kamala, c'est la polarisation croissante en Amérique, qui entraîne la haine et ne fait que favoriser la montée de la suprématie blanche, de l'homophobie, de la xénophobie, etc. Si les Américains ont foi en un gouvernement qui inspire l'espoir, et encourage le dialogue et l'amour du prochain, ils seront moins sensibles à la désinformation et à la polarisation."

À l'instar de la majorité des étudiants, Chloe dénonce le soutien de l'administration Biden à Israël dans sa guerre aux Palestiniens. "Ça me rend malade que le gouvernement ne condamne pas le génocide perpétré par Netanyahou."

Les attentes de réparation sont immenses : "On a besoin d'une vraie politique environnementale, qu'elle restaure la discrimination positive, qu'elle redonne aux femmes leurs droits reproductifs. Aujourd'hui, des femmes meurent, obligées de mener leur grossesse à terme."

Sur cette photo: La parade du vote féministe, avec le mot "freedom" en étendard, est menée par l'artiste Michele Pred, dont le travail est exposé à "Into Act!on 2024".

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"Into Act!on", une exposition collective engagée

Jermaine Jackson JR.

La mortalité maternelle c'est justement le coeur du travail de Michelle Hartney. Cette artiste de 29 ans présente son installation Mother's Right ("le Droit de la mère") dans une exposition collective baptisée "Into Act!on 2024" : 1 200 blouses d'hôpital cousues par elle-même, des sages-femmes et des bénévoles pour dénoncer le nombre de femmes mortes en accouchant aux États-Unis en 2013. Une blouse par femme.

La situation n'a guère progressé : "1 205 femmes sont mortes en 2021. Si vous êtes noire, vous avez deux fois plus de chance de mourir en accouchant." Les chiffres sont édifiants : 69,9 décès de mères racisées pour 100 000 naissances, soit presque trois fois le taux de mortalité des femmes blanches qui était de 26,6 pour 100 000 naissances. Cette mère de deux enfants "dont un gamin transgenre" a des frissons en imaginant la victoire de Kamala Harris.

Tyesha Moores, 29 ans, photographe du West Side, participe à la même exposition. "Je suis une artiste noire, queer ! Imagine que Trump soit élu ! Je perdrais ma voix et mon pouvoir, que j'ai eu tant de difficultés à trouver !" Elle se fait messagère de tant de femmes prêtes à voter pour Harris.

Des gens ont peur d'être privé de ce droit après les élections.

Derrière les grilles des studios, un sexagénaire hurle, échevelé : "Honte à vous !" Cinq ou six femmes crient avec lui, accrochées aux grilles. Leur cible ? Le camion de soins du Planning familial où la Dre Margaret Baum procède à des vasectomies et à des avortements. "Des gens ont peur d'être privés de ce droit après les élections, mais aussi parce que nos soins sont gratuits."

 Une parade féministe brandit un étendard multicolore. La joie, l'humour, et l'engagement face aux liberticides, Chicago est à fond pour Kamala Harris.

Sur cette photo: l'artiste Michelle Hartney, 29 ans, devant son installation à l'exposition collective "Into Act!on 2024" : cette œuvre dénonce la surmortalité maternelle aux États-Unis, qui touche en premier lieu les mères noires. Avec le retrait de Joe Biden et l'investiture démocrate de Kamala Harris, Michelle Hartney est passée du désespoir à un enthousiasme et un espoir inouïs.

Ce reportage à initialement été publié dans le magazine Marie Claire numéro 866, daté de novembre 2024.

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