"Artisan de toutes les victoires." C’est avec ce slogan au gimmick ingénieux que le groupe de luxe le plus puissant de la planète s’est associé à l'événement sportif le plus attendu de l’année : les Jeux olympiques.

Un partenariat aux allures de coup de maître qui, s’il brille par son ingéniosité, ne dévoile en réalité que la partie émergée de l’iceberg que constitue l’influence de LVMH, et plus généralement des entreprises du luxe sur l’industrie sportive de haut niveau. Loin d’être une tendance éphémère ou un simple coup de com’ spontané, le rapprochement entre ces deux univers qu’a priori tout oppose témoigne en réalité d’une stratégie de longue haleine. 

Fini le temps où l’influence des maisons de couture et d’horlogerie-joaillerie se limitait aux podiums des défilés ou aux soirées mondaines. Le luxe s’invite désormais dans les gradins des stades de foot, au bord des circuits de F1 ou, de manière plus historique, sur le pont des voiliers de régate.

Sa vocation ? Conquérir de nouveaux territoires et redéfinir son image auprès d'un public plus large et surtout, plus jeune.

Pour une cible luxe plus jeune, plus large, plus diverse

Car si le mariage entre le luxe et le sport n'est pas nouveau, il semble prendre ces deux dernières années une ampleur sans précédent.

Une tendance que le groupe LVMH illustre parfaitement, avec l’annonce d’un partenariat de 10 ans avec la Formule 1, qui débutera en 2025. Mais aussi avec l'intérêt récent de la Financière Agache, la holding familiale de Bernard Arnault, pour le Paris FC, le second club de football de la capitale française dans lequel elle devrait annoncer sa prise de participation majoritaire courant novembre.

Passion soudaine pour le ballon rond et les voitures qui vont vite ou simple décision stratégique ? "Le sport permet au luxe de se défaire de son image d’élitisme et de s’ouvrir aux valeurs d’accessibilité et de dynamisme qui résonnent avec un public nouveau", explique Greg Maffei, le PDG de Liberty Media et partenaire de LVMH en Formule 1, dans un communiqué officiel. Et de souligner que ce partenariat décennal, signé à l’aube du 75e anniversaire de la discipline en 2025, incarne une volonté de toucher un public diversifié et de s’inscrire dans la durée avec une visibilité mondiale.

"C'est une façon de se (re)connecter à la Gen Z", ajoute Eric Briones, directeur général du Journal du Luxe, qui, lors d’une conférence intitulée "Sport et Luxe", coorganisée avec VO2 Group, rappelle que s’associer au sport permet aux marques de luxe de lifter leur image et d’attirer une clientèle plus jeune et plus dynamique.

De quoi expliquer l’une des dernières initiatives de la prestigieuse maison Bulgari qui a collaboré avec le jeu vidéo Gran Turismo pour créer une montre spéciale. La fusion inattendue du monde du luxe, du sport automobile et du gaming.

Des valeurs communes, entre esprit d’innovation, endurance et exclusivité

Au-delà d’un élargissement de ses cibles stratégiques, le sport offre au luxe un terrain d'expression idéal pour mettre en avant l'innovation et la performance, des valeurs qui résonnent avec l’ADN de la plupart de ces marques prestigieuses.

"Le sport et le luxe ont pour points communs d'être universels au niveau mondial et d'être transgénérationnels. Ils sont aussi tous deux porteurs d'émotion, de dépassement de soi et d'expériences exceptionnelles", commente Antoine Pin, directeur général de Bulgari Horlogerie durant la conférence "Sport et Luxe".

Pour Bernard Arnault, PDG de LVMH, le partenariat avec la F1 serait également une opportunité de "combiner l’émotion brute de la course et le raffinement du luxe pour créer des expériences inégalées". Il faut dire que l’industrie du luxe, comme la Formule 1, repose effectivement sur des savoir-faire ancestraux et une recherche constante de la perfection.

Résolument opportune, cette synergie entre luxe et sport permet aux marques de démontrer leur capacité à innover et à repousser les limites, tant dans la conception de produits que dans l'expérience client.

Mais aussi à enrichir leur storytelling. En valorisant notamment le dépassement de soi — et disons-le clairement, la victoire — le secteur sport se mue en puissant levier pour redynamiser des maisons centenaires.

Chanel, par exemple, est en train de réinventer l’image de la J12, sa montre de sport iconique, en l’associant à The Boat Race, une compétition britannique légendaire qui attire plus de 200 000 spectateur-rice-s chaque année à Londres.

En devenant partenaire de cet événement, la maison de la rue Cambon s’inscrit dans une tradition d’excellence et de rigueur, tout en soulignant son héritage horloger. "Le synchronisme dans l’aviron est aussi essentiel que dans la haute horlogerie", explique Frédéric Grangier, président de Chanel Montres et joaillerie, dans un communiqué.

De quoi positionner la griffe non seulement comme un acteur du luxe, mais aussi comme une marque capable de célébrer l’effort collectif.

Chanel sera le partenaire de The Boat Race à compter de 2025

Au-delà du simple sponsoring, les partenariats entre marques de luxe et événements sportifs donnent lieu à des créations uniques qui permettent de fusionner littéralement excellence artisanale et performance sportive. C’est le cas, par exemple, de Mellerio, qui façonne depuis 1956 le trophée du Ballon d'or, le trophée remis aux meilleur-e-s joueur-euse-s de football de l'année.

Chaumet, de son côté, a été choisi pour concevoir les médailles de Paris 2024. Un "bijou sportif" qui reflète à la fois le savoir-faire joaillier de la maison et l'esprit des Jeux, tout en illustrant de manière significative la capacité des marques de luxe à apporter leur expertise et leur créativité dans des domaines traditionnellement éloignés de leur cœur de métier.

Une stratégie rentable, pour un chiffre d’affaires toujours plus haut

Outre une alliance entre deux industries qui a du sens, l’engagement des grandes maisons de luxe dans le sport répond (encore et toujours) à des objectifs financiers bien précis. Parce qu’en permettant une augmentation substantielle de la notoriété de la marque, le sponsoring sportif contribue à attirer des profils de client-e-s au pouvoir d’achat potentiellement élevé.

Selon une étude de Bain & Company, le luxe sportif représente 8 % de la croissance du marché du luxe en 2023, soit une hausse de 12 % par rapport à l’année précédente. Par exemple, pour Louis Vuitton, la reprise du sponsoring de l’America’s Cup offre un ancrage dans l’univers technique de la navigation. Elle contribue également à asseoir sa crédibilité dans la confection de pièces techniques de haute précision, le plus souvent convoitées par les plus fortuné-e-s.

Louis Vuitton est le partenaire de la 37e America Cup

Ainsi, en se positionnant comme partenaire d’événements sportifs, les maisons de luxe visent aussi à fidéliser une clientèle en quête de rareté et d’expériences singulières. Une manière de redéfinir leur proposition de valeur dans un monde au sein duquel le luxe se conjugue désormais avec dynamisme et émotion.

"Nous sommes en train de participer à la construction d'un héritage interne et philosophique", affirmait ainsi Hélène Freyss, directrice de la communication du groupe LVMH, décrivant une vision à long terme, au-delà d’événements ponctuels comme les Jeux olympiques.

Pourtant, malgré des opportunités plus qu’évidentes, ce rapprochement entre luxe et sport n'est pas sans défis. L’un des challenges, pour les marques, sera de trouver un juste milieu entre l'accessibilité nécessaire pour attirer un public plus large et le maintien de leur image d'exclusivité. Le tout en veillant à ce que leurs investissements dans le sport restent cohérents avec leur héritage.

Un jeu d’équilibriste en somme, pour continuer d’assurer leur place tout en haut des podiums.