Une héroïne s’apprête à rejoindre le banc des grands noms de la Nation. Mercredi 21 février 2024, Mélinée Manouchian fera son entrée au Panthéon avec son époux, le poète et résistant arméien Missak Manouchian, environ 35 ans après son décès. Cette intronisation marque un moment fort pour la mémoire arménienne, mais aussi pour la résistance, à laquelle cette militante intrépide a pris part tout au long de sa vie.
Une rescapée à Paris
Tragiques sont les premiers souvenirs de Mélinée Soukémian. Alors qu’elle vit avec sa famille à Constantinople, au cœur de l’empire Ottoman, la petite fille de 3 ansest témoin du génocide arménien, au cours du lequel près d'1,5 million de victimes ont été massacrées, et parmi elles, ses parents. Orpheline de père, de mère, de terre, la jeune Mélinée est confrontée à la pauvreté et grandit dans des orphelinats, notamment en Grèce.
C’est en 1926, accompagnée de sa sœur, qu’elle rejoint la France et accoste au port de Marseille. Elle y intègre un pensionnat de jeunes filles arméniennes pour y finir sa scolarité et commence des études de secrétaire comptable et de sténodactylographe.
Diplômée, Mélinée Soukémian s’installe à Paris et commence à travailler dès 1932. Au fil des années, elle met en pratiques ses compétences et rejoint le Zangou, le journal du Comité de secours à l’Arménie (HOG).
Au sein de l’organisation, elle rencontre en 1934, lors d'un bal annuel, Missak Manouchian, ouvrier tourneur engagé dans le mouvement antifasciste animé par le Parti communiste français. Après une première danse, les deux sont inséparables.
Comptable et résistante
Tous les deux membres du comité centrale, Mélinée et Messik partagent le même bureau, enchaînent les réunions antifascistes, alors que la menace d’une guerre mondiale plane. Ils échangent leur "Oui" en 1936. Leur relation est solide, renforcée par des convictions communes et une enfance tragiquement similaire, l'un et l'autre ayant survécu au génocide de leur peuple.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Mélinée Ménouchian vit seule dans un Paris occupé. Missak a rejoint l’armée comme volontaire, il a ensuite été assigné travailleur étranger dans la Sarthe.
Dans la capitale française, en parallèle d’un travail de comptable, la militante communiste distribue des tracts et envoie des colis aux Arméniens internés dans des camps de prisonniers en Allemagne. Elle tombe enceinte, mais décide d’avorter clandestinement, contre l’avis de son époux. Pour Mélinée, être mère n’était pas compatible avec son engagement militant.
Le couple se retrouve brièvement à Paris en 1941, avant d’être de nouveau séparé à la suite de l’arrestation par les Allemands de Missak. Envoyé au camp de Royallieu, près de Compiègne, il y est enfermé plusieurs semaines, avant que Mélinée ne parvienne à le faire libérer.
De nouveau réunis, les époux rejoignent le groupe de combat FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans de la Main-d’œuvre immigrée) en 1943. Mélinée y devient un agent de liaison et doit repérer les cibles puis rédiger des rapports. Son mari s'y oppose, voulant la protéger, mais la soif de résistance de cette militante est trop forte pour accepter de ne pas agir.
Cachée par les parents de Charles Aznavour
Le quotidien de Mélinée Manouchian bascule en 1943. Son appartement est perquisitionné, Missak est arrêté. Les Brigades spéciales des Renseignements généraux traquaient depuis un moment les membres du FTP-MOI et ont réalisé une soixantaine d’arrestations. Ils n’avaient toutefois pas repéré Mélinée qui se cache alors chez la famille Aznavourian, les parents du futur chanteur Charles Aznavour, et continue d’écrire pour la presse clandestine.
La résistante n’a pas de nouvelle de son époux, sauf par la radio, contrôlée par la Propaganda-Abteilung Frankreich, qui évoque les prisonniers. Assimilés à "l’armée du crime", 23 d’entre eux, dont Missak Manouchian, voient leur visages placardés sur "L’Affiche rouge", une affiche de propagande discréditant leur combat et les faisant passer pour des criminels. Ils sont tous condamnés à mort et fusillés au Mont-Valérien.
L'impossible deuil de Missak et de leurs combats
Mélinée apprend l’exécution de son époux seulement quelques semaines plus tard. "Je suis dès lors perdue, ne survivant que d’un passé qui ne me donne aucune tranquillité", écrivait-elle dans son livre-hommage à son époux Manouchian (éditions Parenthèses).
La militante découvrera une lettre d’adieu rédigée par son défunt mari juste avant son exécution. Missak lui demande de refaire sa vie, de se marier et d’avoir un enfant. Elle ne le fera jamais.
Fidèle à l'être aimé par-delà la mort, Mélinée tient sa promesse, publie ses poèmes - lui qui avait toujours voulu s’accomplir comme poète - et sa biographie.
Mélinée adopte le pseudonyme de Jacqueline Albertini pour poursuivre la résistance jusqu’à la fin de la guerre. Naturalisée française, elle se porte volontaire pour un programme soviétique visant à repeupler l’Arménie en 1947, avant de revenir en France au début des années 1960, déçue par le politique menée en URSS.
Veuve de guerre, Mélinée participe à la fondation de l’Amicale des anciens résistants français d’origine arménienne et lutte pour la reconnaissance du génocide arménien. Elle meurt en 1989, enterrée au cimetière d’Ivry, loin de Missak, au "carré des fusillés". Séparés durant la guerre, puis dans la mort, les Manouchian seront enfin réunis au Panthéon. 80 ans après leur dernière étreinte.
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