La jeune physicienne qui arrive à l'école Polytechnique fédérale de Zurick pour y poursuivre son cursus, à la fin du XIXe siècle, est une sacrée tête. À une époque où l’accès aux études (notamment scientifiques) est semé d’embûches pour les femmes, Mileva, née en 1875 dans une famille aisée de l’actuelle Serbie, s’impose par son talent.

Mileva dans l'ombre d'Albert Einstein

Seule fille dans sa classe, elle se découvre une complicité intellectuelle avec l’un de ses condisciples, Albert Einstein, qui se mue en histoire d’amour. Le couple travaille fiévreusement ; "nos travaux", "notre théorie", s’exclame Albert dans ses lettres à Mileva. De facto, les publications d’Einstein, dont celles de 1905, son "année merveilleuse" où il jette sur le papier les bases de la physique moderne, bénéficient de l’apport conséquent de la jeune femme ; le premier de ces articles n’est-il pas, à l’origine, cosigné de leurs deux noms ? Que s’est-il passé pour que seul celui d’Einstein demeure ?

Selon de nombreux·ses historien·nes, Mileva se serait effacée, craignant que sa présence amoindrisse la portée de leurs recherches. Mais Einstein n’est pas non plus un tendre. Pendant des années, sous l’influence de ses parents qui accablent Mileva de tous les défauts (pas allemande, trop intello, trop vieille – elle a trois ans de plus que lui), Einstein refuse de l’épouser. Puis, une fois le mariage célébré, il se consacre à ses théories, laissant à son épouse le soin du ménage et des enfants (deux garçons).

Piégée par la misogynie et son rôle de mère

En 1912, déjà célèbre, il tombe amoureux… de sa cousine germaine, et quitte Mileva pour elle, tout en se répandant en mots insultants sur son amour de jeunesse : il écrit regretter avoir eu des enfants avec une "femme moralement et physiquement inférieure"…

Ainsi Mileva est devenue, bien malgré elle, une victime de "l’effet Matilda". Cette expression (en référence à Matilda Joslyn Gage, une militante du XIXe siècle qui, la première, s’est insurgée contre la spoliation des idées féminines par les hommes) a été forgée par une historienne pour désigner le processus d’invisibilisation des femmes scientifiques. Mileva Maric-Einstein meurt en 1948 dans un certain dénuement, seule à s’occuper de ses enfants, dont un schizophrène. Elle n’a jamais eu le temps, ni les moyens, de reprendre ses recherches scientifiques.

Ce portrait a été initialement publié dans le Marie Claire numéro 849, daté juin 2023.