Née en 1875 à New York, Natalie Curtis grandit au sein d’une famille riche et cultivée, où les garçons étudient à Harvard et les filles apprennent le piano. Natalie est extrêmement douée ; elle pratique jusqu’à six heures par jour, prend des leçons avec Dvorák et passe un temps à Bayreuth, où elle fréquente la veuve de Wagner.

Des décennies plus tard, sa carrière aurait probablement été magnifique. Mais l’époque victorienne condamne encore les femmes à ne devenir que des épouses et des mères. Cette impasse existentielle la plonge dans une profonde dépression.

Des sons venus d'ailleurs

Au début du siècle, elle décide de suivre son frère dans l’Ouest américain. À défaut de piano, l’aventure ! Les Curtis explorent l’Arizona, souvent en chemin de fer, parfois à cheval, Natalie un colt dans la ceinture, au cas où. Un jour, plus curieuse que d’autres Blancs, elle pénètre dans un village Hopi. Cette tribu amérindienne est alors, à l’instar de toutes les autres, sous le joug du Bureau des affaires indiennes, qui oblige les "Native Americans" à abandonner leur culture ancestrale pour devenir de bons Américains.

La jeune musicienne se prend de passion pour leurs chansons, qu’elle enregistre avec un phonographe Edison. Ses multiples voyages dans le Far West lui permettent de publier en 1907 The Indians’ Book*, un ouvrage saisissant de modernité où sont compilés des centaines de chansons, légendes et dessins d’une vingtaine de tribus.

Et puisque le président Theodore Roosevelt est un ami de la famille Curtis, Natalie obtient de lui qu’il lève les interdits concernant la culture amérindienne, notamment celui de pratiquer musiques et danses. Elle épouse ensuite un artiste peintre et part vivre en Virginie, où elle se met à collecter des chansons afro-américaines.

Natalie Curtis, une "white savior" ?

En 1921, elle est à Paris pour défendre l’idée d’un folklore américain qui ne serait pas uniquement blanc, quand elle se fait renverser par une voiture et meurt. Aujourd’hui, Natalie Curtis est grandement célébrée pour sa liberté d’esprit et son courage – mais aussi attaquée : comme tant d’individus de son époque, elle n’était pas exempte d’une forme de "maternalisme" embarrassant envers ceux qu’elle a passé sa vie à défendre.

* Éd. Dover Publications, non traduit et épuisé, en e-book, 13,23 € sur la Fnac

Ce portrait a été initialement publié dans le Marie Claire numéro 845, daté février 2023