Sur le parvis du tribunal de Paris ce lundi 25 mars 2025, des militantes féministes, dont Blanche Sabbah et Victoire Tuaillon, mènent un rassemblement de soutien aux plaignantes, Amélie et Sarah*.
À l’intérieur, des caméras du monde entier sont braquées devant la 10ème chambre correctionnelle pour capter quelques images de l’arrivée du prévenu. Et pour cause, il s’agit du monstre sacré du cinéma français Gérard Depardieu, accusé d’agressions sexuelles par deux femmes sur un tournage, en 2021. Quelques soutiens de l'acteur sont présents, sa famille et certaines personnalités dont Fanny Ardant lundi, Liza Azuelos, Vincent Perez, ou encore David Foenkinos mardi.
"Faire tomber Depardieu"
Une enquête pour "faire tomber Depardieu". C’est en ces termes que Me Jérémie Assous plaide pour faire annuler la procédure dès l’ouverture du procès. Remettant en cause les versions des témoins, sous-entendant que les enquêteurs ont sciemment omis ou écarté certains potentiellement à décharge, il accuse aussi sans relâche la journaliste de Médiapart Marine Turchi d’avoir bâclé son enquête en sélectionnant les éléments de témoignages qui l’arrangeait.
Se faisant, il monopolise dès le début de l’audience la parole pendant près de deux heures durant pour plaider ses conclusions de nullité, puis justifier des demandes d’actes.
Côté parties civiles, Me Claude Vincent et Me Carine Durrieu Diebolt sont excédées et ne cachent pas leur colère. Car au bout de cette première demi-journée, le fond du dossier n’est toujours pas abordé. Un retard préjudiciable, puisque non seulement le procès est censé durer deux jours mais le temps est compté : d’après l’expertise médicale qui a déclaré Gérard Depardieu apte à comparaître suite au renvoi prononcé en octobre 2024, l’acteur ne doit pas rester en audience plus de six heures et bénéficie d’un traitement spécifique en raison de ses problèmes de santé. Seulement six heures, suspensions d’audience comprises.
Au vu des circonstances, la défense de Me Jérémie Assous a tout l’air d’une stratégie pour faire traîner les débats, dénoncent les avocates des parties civiles.
"Je ne suis pas Emile Louis"
Au deuxième jour, l’audience semble enfin véritablement commencer. À l’issue du rappel des faits qui concernent dans un premier temps Amélie et l’agression qu’elle aurait subi sur le tournage du film Les Volets verts le 10 septembre 2021, le président reprend la longue liste des témoins entendus dans l’enquête.
Dans cette énumération où s’entrechoquent les récits de ceux qui ont vu les faits rapportés par la plaignante et ceux qui n’ont vu aucun geste déplacé, apparaît une autre scission. D’un côté, celles et ceux qui rapportent des propos graveleux et des comportements inappropriés dont l’acteur est coutumier, et ceux qui préfèrent parler d’un esprit libre, de blagues sorties de leur contexte, mais aussi d’un conflit générationnel dans la perception d’un certain humour, de choses qui "faisaient marrer il y a 20 ans, mais plus maintenant".
Gérard Depardieu critique #MeToo
Gérard Depardieu conteste l’agression sexuelle mais reconnaît avoir été violent dans ses propos, justifiant son emportement par la "colère", la "chaleur", son «"embonpoint" et l’"emmerdement" de fin de tournage.
Il sous-entend que son attitude irrespectueuse, à l’égard d’Amélie, mais aussi à l’égard de Karine Vigne, une témoin citée par son avocate, a pu créer de la rancœur… au point que les deux femmes aient pu conspirer contre lui ? Il n’ira pas jusque là, mais assure que l’une et l’autre ont pu être froissées d’avoir été rabrouées professionnellement. Il admet avoir remis en cause les compétences professionnelles d’Amélie, mais aussi d’avoir mansplainé Karine Vigne sur la gestion d’un tournage en extérieur alors qu’elle venait de décrocher le poste de première assistante réalisatrice.
Des paroles désobligeantes, mais pas d’agression sexuelle maintient-il, se fendant même d’un "Je ne suis pas Emile Louis !" et d’ajouter plus tard : "Je ne vois pas pourquoi je m’amuserais à peloter une femme, je suis pas un frotteur, comme dans le métro, je connais pas ces choses là, y’a des tas de vices que je ne connais pas."
"Ce mouvement [#MeToo, ndlr] va devenir une terreur", gronde-t-il. "Les femmes feraient bien de méditer sur Madame de Staël, 'La gloire est le deuil éclatant du bonheur'."
"Ça m’amuse, ça me donne un peu de courage", ose plaisanter Amélie qui arrive à son tour à la barre, alors qu’elle vient d’entendre ce qu’elle qualifie de "nouvelle version" servie par Gérard Depardieu. Elle réfute entièrement cette histoire de reproches sur son travail et explique le contexte dans lequel les faits d’agression sexuelle dont elle accuse l’acteur se serait déroulé.
Passe d’armes entre avocats
Alors qu’Amélie livre sa version, les avocates de la partie civile interviennent soudain pour dénoncer une nouvelle tentative d’intimidation de la défense. "Vous pouvez aller pleurer" vient de leur glisser narquoisement Me Assous en passant à leur hauteur. Le président s’agace, rappelle la nécessité de maintenir la sérénité des débats. De son côté, Me Assous semble jubiler de ce nouvel emportement des avocates. L’audience reprend.
"J'ai des flash très nets de ce visage en face de moi, se souvient Amélie. il me dit 'viens toucher mon gros parasol', avec une tête de fou, un regard de fou. Quand on dit que j’invente cette scène, cette phrase est tellement débile, c’est quand même difficile de parler de sexe avec un parasol !" Elle confirme avoir mis du temps à se considérer comme victime d’agression sexuelle, ce que ne manque pas de relever le président : "Vous dites 'je ne savais pas ce qu’était une agression sexuelle', mais vous savez quand on ne respecte pas le consentement ?"
À nouveau, l’écart de conception de ce qui relève d’une agression ou d’un acte consenti apparaît de façon flagrante : "Vous savez, je suis d’une époque où on appelait ça du pelotage", répond Amélie, qui reconnaît avoir longtemps vécu dans le déni et de ne plus avoir pu travailler sur un tournage pendant deux ans. C’est d’abord la prise de parole d’Anouk Grinberg, en soutien à Charlotte Arnould (les deux comédiennes sont présentes à l’audience), qui l’a poussée à prendre la parole.
À nouveau à la barre, Gérard Depardieu est interrogé par Me Carine Durrieu Diebolt sur chaque décalage entre ses déclarations en garde à vue, et celles qui viennent d’être faites à la barre. "J’ai pas menti, glapit l’acteur, j’ai suivi ce que me disait Maître Saint-Palais !", à savoir son ancien avocat. L’acteur ne semble pas distinguer la différence entre une contestation et la fait de garder le silence. "Ça fait trois versions, résume l’avocate de Sarah. Vous n’avez pas touché la plaignante, puis vous l’avez attrapé par les hanches pour ne pas tomber, puis vous l’avez attrapé pour lui parler."
La défense en profite pour intervenir, cette fois pour se plaindre que la même question soit posée plusieurs fois. Le président recadre mollement, provoquant une nouvelle passe d’armes entre les avocats.
Le conseil d’Amélie continue de faire osciller le prévenu sur une corde raide : non il ne met pas en doute ce que dit la plaignante… Mais il ne dit pas non plus qu’elle dit la vérité. La tension grimpe encore d’un cran quand vient le tour de Me Claude Vincent, à qui Gérard Depardieu donne du "Mademoiselle" et qui la sermonne sur sa soi-disant mauvaise diction. Nouvelle raillerie de l’avocat de la défense, là encore sans être repris par le président d’audience, qui menace cependant à nouveau d’une suspension si la sérénité du débat n’est pas rétablie.
Un procès qui s’étire à outrance
Questionnée par Me Assous, Amélie subit le feu nourri de l’avocat qui brandit plan du plateau, digresse, s’attache à retrouver chaque zone d’ombre de l’audition de la plaignante, comme par exemple le fait qu’elle ne sache pas qui l’a tiré de l’emprise physique de Gérard Depardieu.
Accepterait-elle de confronter sa parole au réalisateur des Volets verts ou bien qu’une nouvelle salve d’auditions ait lieu pour retrouver les positions de chaque technicien sur le plateau le jour de l’agression ? Amélie s’y oppose fermement y voyant des moyens de "rallonger la sauce" pour reporter le procès. "Jamais vu une vraie victime s’opposer à des actes aussi élémentaires", finit par lâcher Me Assous. La salle pousse un cri de protestation, sonnée par une énième provocation de l’avocat.
Alors que le procès est loin d’être terminé, le président a décidé qu’il ne prononcerait pas un nouveau renvoi et que l’audience se poursuivra jusqu’au jeudi 27 mars. "C’est un dossier qui mérite deux ou trois heures", a regretté Me Claude Vincent, qui a rappelé une fois de plus les procédés dilatoires de la défense. "Ça se passe comme ça parce que c’est Gérard Depardieu."
*Le prénom a été changé.
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