"J’aimerais une décision à la hauteur de ce que j’ai subi. Que ça serve à toutes les femmes et à mes collègues qui n’ont pas pu arriver jusqu’ici".

Mardi 21 janvier 2025 se tenait au tribunal de Paris le procès de quatre hommes, Nazim, Nathan, Edys et Ismael (absent de l’audience), présentés pour harcèlement, menaces de mort et de viols à l’encontre de la streameuse Ultia, suivie par plus de 280 000 personnes sur Twitch.

Une audience qui fait écho à d'autres procès pour cyberharcèlement très suivis de ces dernières années, notamment ceux des harceleurs de Magali Berdah, condamnés en 2024, et d'un des harceleurs de Nadia Daam, en 2022.

Mise au placard et impact psychologique

Lorsqu’elle a été appelée devant les juges, la plaignante a demandé à pouvoir s’exprimer depuis le banc des parties civiles et non à la barre, pour ne pas se retrouver à tout juste un mètre des trois prévenus. "J’étais très anxieuse. Être juste à côté d’eux, c’est vraiment très déstabilisant, je me sentais étouffée", a-t-elle expliqué à Marie Claire.

C’est pour avoir dénoncé les propos sexistes du streameur Inoxtag lors du ZEvent de 2021, qu’Ultia est devenue "la streameuse la plus harcelée de Twitch". Depuis cette date, pas un jour ne passe sans des commentaires haineux et des insultes sur toutes les plateformes où elle est présente : "On me qualifie de féministe de merde, on me traite de pute, de grosse folle, de suceuse de queue. Même quand je suis inactive, je me prends quand même des vagues de haine en pleine figure".

Ce cyberharcèlement a eu un impact sur l'activité d'Ultia, tant certains streameurs renoncent à l’inviter par peur des conséquences. C’est ce qu’a par exemple reconnu Domingo, créateur de l’émission "Popcorn", affirme Ultia. "Elle a pâti d’une mise au placard par ses pairs, a plaidé son avocate Me Nathalie Tomasini. Elle n’a pas été conviée à des événements médiatiques pour lesquels sa participation aurait été légitime".

Même quand je suis inactive, je me prends quand même des vagues de haine en pleine figure.

Le retentissement est aussi psychologique : être vigilante dans l’espace public, craindre pour ses proches, se demander si on risque d’être reconnue quand on passe à proximité d’un groupe d’hommes… autant de réflexes qui font partie du quotidien d’Ultia désormais : "J’aimerais juste me sortir de cet état d’esprit, je veux juste que ça s’arrête".

Si elle n’a pas fait du féminisme son combat, Ultia est malgré elle "la féministe de Twitch" et est devenue à ce titre un bouc émissaire de ce milieu, dans un contexte d’essor des discours masculinistes en ligne, particulièrement en direction des jeunes hommes et des adolescents.

D’autant que le cyberharcèlement fait presque partie du jeu quand on est streameuse : "Beaucoup de sexualisations, de montages pornographiques, d’allusions sexuelles, souligne Ultia devant les juges. Et ça [le cybersexisme, ndlr] concerne toutes les streameuses. Toutes subissent une forme de harcèlement". Et c’est encore pire, tient-elle à ajouter lorsque ces créatrices de contenus dénoncent de l’homophobie ou du racisme.

12 profils de cyberharceleurs identifiés pendant l'enquête

Des milliers de messages, émanant de 700 profils, dont 12 ont été identifiés dans le cadre de l’enquête… et au final, seulement quatre prévenus. "Sale pute, va te faire violer", c’est ce que Nathan a écrit sur Twitter à Ultia après le Zevent de 2021, estimant que la streameuse était jalouse de voir des viewers quitter son stream pour aller suivre celui d’Inoxtag. C’est la "première injure" qui lui est passé par la tête, avant d’écrire plus tard "Fais gaffe quand tu rentres toute seule la nuit".

À l’audience, il a justifié – sans franchement convaincre – ce deuxième tweet : "J’ai vu des gens la menacer dans la vraie vie, donc je lui ai dit de faire attention. Finalement, je me dis qu’il pouvait être mal interprété". Il affirme s’être laissé influencer par les autres streamers.

"On peut être fatigué, remonté, mais quand on dit à quelqu’un 'sale pute va te faire violer', c’est absolument scandaleux Monsieur ! Comment on peut dire ça à quelqu’un ?" Nathan reconnaît avoir banalisé cette violence à l’époque : "Je suis souvent exposé aux réseaux sociaux, je reçois plein d’insultes". Il a reconnu passer au moins 10 heures par jour devant un écran. "Avec le recul, je pense qu’elle a dû être blessée, que c’était dur mentalement".

Comme Nathan, Edys ne suivait pas Ultia sur Twitch. Il est présenté pour des menaces de mort après avoir posté un message lors d’un stream de PFut : "T’es gentil moi je les aurai fini à la kalash ces fdp". Il maintient ne pas se souvenir du contexte au cours duquel il a posté ce message, qui, selon l’avocate de Ultia, vise pourtant bien sa cliente et le streamer Ponce.

À la base, je ne pensais pas participer au harcèlement d’Ultia, mais indirectement, je ne peux pas dire autre chose.

Devant les juges, Edys a plusieurs fois fait part de sa honte. "À la base, je ne pensais pas participer au harcèlement d’Ultia, mais indirectement, je ne peux pas dire autre chose. Un commentaire plus un commentaire plus un commentaire, ça fait du harcèlement".

Un prévenu absent et une suspension après un geste violent

"J’espère que tu te fais violer en sortant de chez toi", "que quelqu’un t‘étrangle et t’éclate la gueule", sont quelques-uns des messages écrits par Ismael, qui ne s'est pas présenté à l’audience. Lors de sa garde-à-vue, il n’a pas contesté être l’auteur et a expliqué aux policiers qu’il vivait une "période de déprime", qu’il était "saoulé", que c’était "insignifiant", mais qu’il avait bien conscience qu’Ultia se faisait harceler. La procédure indique que les messages d’Ismael comportent des chiffres à la place de certaines lettres, preuve qu’il cherchait sciemment à contourner la modération.

Nazim, lui, a nié toute intention d’avoir participé à harceler Ultia. Si ses mails adressés en 2022 ne comportent pas de menaces de mort ou de viol, ils sont, sans ambiguïtés, offensants et sexualisants ("T’es une Milf c’est clair", "T’aimes les chibres", "Tu montres ta vraie nature de cochonne") et s’inscrivent dans le contexte du cyberharcèlement quotidien que subit la streameuse.

Malgré les tentatives de son avocate de tempérer certaines de ses vives réactions, le prévenu, dont l’isolement et la vulnérabilité psychologique ont été abordés à l’audience, a fini par s’emporter avec violence, au point de menacer de s’en prendre physiquement aux juges et de brandir sa béquille contre un officier. L’audience a été alors suspendue.

"Un rôle à jouer" du côté des streameurs

Paradoxalement, Ultia estime que les prévenus ont en quelque sorte raison lorsqu’ils affirment avoir agi sous influence, comme c’est le cas pour Nathan et, dans une moindre mesure, Edys : "Quand un streameur prend la parole, critique une prise de position publique sous couverts de moqueries et de blagues, alors qu’il y a une vague de harcèlement qui a lieu, oui ça les valide et ça attise la haine, nous a-t-elle confié à la sortie de l’audience".

Elle regrette que beaucoup de streameurs laissent passer les propos de leur communauté et ne prennent pas leur responsabilité : "Ils ont un rôle à jouer en tant qu’hommes, j’ai besoin que mes homologues streameurs disent que j’ai raison. Ça peut créer un point d’inflexion, pour changer les mentalités. Toute seule, je ne m’en sors pas".

Ils ont un rôle à jouer en tant qu’hommes, j’ai besoin que mes homologues streameurs disent que j’ai raison.

Une décision attendue en février

Pour Nathan, Edys et Ismael, la procureure a requis des peines de douze mois assorties du sursis simple avec une interdiction de contact pendant cinq ans et l’obligation d’effectuer un stage de sensibilisation à l’usage de réseaux sociaux.

Pour Nazim, déjà condamné pour harcèlement sexuel en ligne, le parquet a requis sept mois assortis du sursis probatoire, avec interdiction de contact et obligation de soins.

Le délibéré est attendu le mercredi 12 février.