Safia*, 16 ans, et sa petite sœur comptaient les jours depuis un mois. Impatientes de profiter du spectacle et de déballer leur cadeau pour enfin sortir la tête des procédures judiciaires. "En ce moment, la vie est rythmée par le procès du meurtre de notre papa qui a été tué en 2019 alors qu’il tentait d’empêcher un homme de me violer. Ça fait du bien grâce au Gala de Noël des Mamans du Ciel, de pouvoir penser à autre chose même une après-midi", se réjouit l’aînée, tandis que Louna* se précipite au stand de maquillage.

Toutes deux sont suivies par cette association créée en 2021. Une bonne fée qui s’active à redonner le sourire à 200 autres enfants ayant perdu un ou deux parents de manière brutale. Parmi eux, 90% à la suite du féminicide de leur mère. Et qui soutient les familles pour les prendre en charge aux niveaux psychologique, financier, administratif…

1/2

Une soirée pour oublier les violences

Pauline Baron pour Marie Claire

Grâce à ce gala organisé début décembre 2023 à Mantes-La-Jolie, beaucoup d’entre eux ont pu oublier un bref instant leur situation, se sentant libérés par la présence d’enfants ayant un passé similaire. "Mes amis ne comprennent pas ce que je vis, alors qu’ici ça me rassure de ne pas être obligée de tout expliquer", reconnaît Safia avant que ne débute le spectacle de magie prévu ce soir-là. Un ressenti partagé par Victoire*, 15 ans, assise deux rangs en avant et dont la mère, elle, a survécu à un féminicide en 2014 : "C’est révoltant aussi de voir qu’on est si nombreux. Mais que l'on ait organisé tout ça pour nous, ça réchauffe le cœur après les procès à rallonge, les violences : on pense à nous alors qu’on nous a ignoré pendant des années."

Le reste de l’année, l’association continue de réaliser les rêves de ces orphelins "qui après un traumatisme si violent, ont besoin de sortir d’un quotidien perturbé par le deuil et les procédures, selon Rosa Benmechiche, présidente des Mamans du Ciel. Cela permet aussi à ces enfants et à leurs tuteurs de se souder en tant que famille". Comme pour Karima* qui tente avec l’aide de l’association de récupérer la garde de ses trois neveux et nièce placés à l’ASE après le féminicide de leur mère en 2022, et qui se rappelle "de leur joie d’avoir passé une journée ensemble à Disneyland, tout payé".

L'État aux abonnés absents

"Les loisirs, les cadeaux, on met ça de côté parce qu’on a à s’occuper d’autres choses et peu d’argent, avoue Vanessa, marraine de l’association. Avec mes cinq frères et sœurs, on ne voyait rien d’autre que la maison". À 22 ans, à la suite du féminicide de sa mère en 2011, elle-même a mis de côté sa vie pour élever sa fratrie, gérant tout seule, faute d’accompagnement par l’État : "La demande de tutelle, récupérer les allocations CAF toujours versées à mon géniteur en prison… J’ai dû réclamer à l’assistante sociale un suivi psychologique pour toute ma fratrie, qui s’est limité à quelques séances de groupe et s’est révélé inutile", retrace-t-elle se souvenant de sa "honte d’en être réduite à quémander de la nourriture au Secours Catholique".

De nombreuses familles subiraient toujours cet abandon institutionnel d’après l’association, alors que les tuteurs s’inquiètent de leur capacité financière face à l’arrivée d’enfants supplémentaires dans leur foyer,  Des orphelins qui ne possèdent souvent que les vêtements qu’ils portent. "On a essayé sans succès, avec Rosa, d’obtenir la levée des scellés sur l’appartement où se trouvaient les affaires de mes neveux et nièce, regrette Karima. Il a fallu leur racheter des habits, des affaires d’école, des lits…".

Véronique, qui a accueilli sa nièce après le décès de sa sœur en 2019, a elle aussi tout réglé pendant que son ex beau-frère se payait un avocat avec l’héritage de la défunte. "Si en 2023 le procès lui a retiré l’autorité parentale à mon profit, cela a stoppé le peu d’aides que je percevais pour Solana* considérée dès lors comme mon enfant par l’administration", dénonce-t-elle.

Si les doudous et autres objets sentimentaux ne pourront jamais être remplacés, Les Mamans du Ciel "se charge de financer le reste, pour aider les tuteurs à les accueillir au mieux, assure Rosa Benmechiche. Le fond de garantie des victimes propose aux mineurs une indemnisation en cas d’instruction criminelle. Mais l’argent est placé jusqu’à leur majorité et ne peut servir aux dépenses du quotidien". Alors l’association a elle-même réglé l’agrandissement d’une maison pour que des grands-parents puissent héberger leurs cinq petites-filles en avril 2022.

2/2

Des Mamans du Ciel qui assurent comme elles peuvent

Pauline Baron pour Marie Claire

Si l’avocat des enfants, parce que mineurs, leur est payé par l’État, les familles n’en sont pas moins seules face à l’imbroglio juridique qui se lance après un féminicide. "Leurs questionnements concernent la tutelle et l’autorité parentale pour lesquels nos avocats les conseillent", résumé Vanessa, tout en donnant son cadeau à Safia qui avoue "leur avoir souvent posé des questions, même si le [leur] était très bien". Tenant le cadeau de Solana, alors absente, Véronique, elle, ne cache pas sa colère "de n’avoir eu aucune aide en 2019 pour obtenir l’autorité parentale" de la fille de sa soeur décédée. "Et en attendant, on devait avoir l’accord du géniteur pour toutes les démarches", s'indigne-t-elle. Une situation invivable qui a poussé l’adolescente à mettre en stand by son changement de nom de famille jusqu’au verdict de 2023.

Cela a aussi perturbé Solana qui a demandé à reprendre un suivi psychologique autrefois payé par sa tante, mais cette fois-ci financé par les Mamans du Ciel. Comme elle, Victoire non plus n’a pas bénéficié d’un tel suivi prévu par le Protocole Féminicide, généralisé seulement en 2022 à l’ensemble des départements. Un dispositif, initié en 2015 à l’hôpital d’Aulnay-sous-Bois (93), qui prévoit l’hospitalisation immédiate des enfants après un féminicide (ou une tentative) afin d’évaluer leurs traumatismes, d’établir un suivi psychologique et de permettre à l’ASE de décider du meilleur placement pour eux.

Alors triturant les livres qu’elle a reçus, elle remercie l’association de lui payer des séances de psy. "Quand j’ai appris qu'elle pouvait s’en charger, j’ai aussitôt voulu en profiter parce que je pense toujours aux violences infligées par mon géniteur et j’ai peur de le voir revenir, au point de faire des crises d’angoisse".

Alors que le gala de Noël se finit, enfants et tuteurs repartent chargés de cadeaux. Des jouets, comme les actions des Mamans du Ciel, financés par du mécénat privé, l’association refusant "de solliciter l’État, coupable de trop de défaillances". Quelques dispositifs ont bien été actés depuis 2019 : outre la généralisation du Protocole Féminicide, le Grenelle des Violences conjugales a instauré la suppression automatique de l’autorité parentale en cas de condamnation pour féminicide et fait des enfants "des co-victimes du meurtre de leur mère" leur permettant de bénéficier d’un avocat sans s’acquitter des frais de justice.

Mais depuis, aucun plan n’a spécifiquement ciblé la situation de ces orphelins. Par ailleurs, "les rares avancées peinent à être appliquées, selon Rosa Benmechiche. Le Protocole Féminicide n’est pas actif partout, les pères conservent trop souvent l’autorité parentale, le budget est dérisoire". Et nombre des enfants présents à ce Gala n'auraient bénéficié de rien de cela.

* Les prénoms ont été modifiés

[Dossier] Le féminicide, un meurtre au-delà des violences conjugales - 81 articles à consulter
Cet article est réservé aux abonnées
Inclus dans votre abonnement :
  • Votre magazine en version numérique en avant-première (+ les anciens numéros)
  • Tous les contenus du site en illimité
  • Une lecture zen avec publicité réduite
  • La newsletter spéciale abonnées qui vous fera part : 
  • Des jeux-concours exclusifs
  • De nos codes promos exclusifs
  • Des invitations aux événements Marie Claire

 VOTRE PACK BEAUTÉ & BIEN-ÊTRE 

 

  • 10 € de réduction sur la Box Beauté Marie Claire du moment
  • 3 mois gratuits sur  Le Tigre : Yoga, pilates, relaxation ... sans modération !

La Newsletter Époque

Phénomènes de société, reportages, people et actualités... l'air du temps décrypté.