En fin d'après-midi, à Villeurbanne, David rentre à pas tranquilles de l'école maternelle en plongeant sa main dans un paquet de chips. Une fois franchi le grand portail, ses petites jambes accélèrent, "iI pleut, allez, tu viens jouer avec moi dans ma maison !", invite-t-il en grimpant les trois marches qui mènent à la porte d'entrée.

Ni une ni deux, il attrape son jeu d'animaux en bois qu'il pose sur le clic-clac, et hop, c'est parti, "le crocodile mange le lion", un éclat de rire et c'est reparti, "le crocodile mange le lion", un éclat de rire... Avec sa mère et son petit frère né au mois de septembre 2023, David habite à La Base, un lieu d'hébergement pour des femmes en situation de précarité et leurs enfants de moins de 3 ans.

Opérationnel depuis 2021, ce dispositif pionnier dans la lutte contre le mal-logement est composé de 17 "tiny houses" en bois installées sur un parking désaffecté. Il permet à ces familles de sortir de l'instabilité inhérente à l'hébergement à l'hôtel. Posées, elles peuvent enfin se projeter. Alors que l'aggravation du mal-logement en France est alarmante, La Base fait figure d'exemple à suivre.

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Des "tiny houses" petites mais pratiques

Fabrice CATERINI / Marie Claire

Conçues au départ pour le tourisme, les "tiny houses" font 20 mètres carrés chacune. À l'intérieur, le moindre centimètre est optimisé. On y trouve : une chambre avec un lit superposé pour les enfants, une salle d'eau avec toilettes et un salon avec canapé-lit et cuisine équipée qui donne sur une grande baie vitrée.

Dans ces maisons de poupée, tout rentre au chausse-pied mais tout tient. Une buanderie collective permet de laver le linge. Un toit constitue le préalable indispensable à toute autonomisation. "C'est le top, je suis indépendante, je n'ai pas à demander à droite à gauche pour tout, se réjouit Marie-Jeanne, la mère de David, tout en donnant le biberon à son nouveau-né.

"À l'hôtel, cuisiner était interdit et il n'y avait pas de frigo, on mangeait comme on pouvait. Maintenant, je prépare des plats de la Côte d'Ivoire, la sauce graine accompagnée de viande, de poisson..." "Déplacer les gens d'hôtel en hôtel est destructeur, souligne Malika Benzineb, responsable à l'association Le Mas, qui gère La Base. Ici, la stabilité du logement facilite l'accompagnement et l'accès au droit."

Deux travailleuses sociales accompagnent les 1è mères, majoritairement d'origine subsaharienne, hébergées dans les "tiny". Dégagées de l'angoisse de la survie au jour le jour, elles peuvent se concentrer sur les démarches administratives, leur suivi médical et celui de leurs enfants, la scolarité... Ces derniers sont inscrits à l'école du quartier. Quand leur mère travaille, l'obtention d'une place en crèche municipale est facilitée.

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Des hébergements d'urgence et solidaires

Fabrice CATERINI / Marie Claire

"Je me sens chez moi ici, j'ai trouvé une grande famille, on s'entraide", raconte Esther, 30 ans. L'isolement engendré par la précarité est rompu. Les "tiny houses" sont espacées de quelques mètres les unes des autres. La distance est suffisante pour préserver l'intimité mais pas trop grande pour favoriser les relations entre voisines.

Lorsqu'Esther était à l'hôtel, elle ne sortait pas de la chambre une fois qu'elle avait ramené ses deux enfants de l'école, en fin d'après-midi. "Il n'y avait aucun endroit pour eux dehors, alors on y restait... avec des souris, le petit en avait peur", se souvient-elle. Son aîné avait aussi dû changer d'école, au gré des placements d'hôtel. Depuis leur arrivée à La Base, le comportement de ses garçons a changé : "Avant, ils étaient timides, cela m'inquiétait. Ici, ils jouent tout le temps avec les copains."

Quand il fait beau, le parking prend des allures de place du village avec les petits qui font du vélo et jouent ensemble. Deux portails, dont chaque résidente détient une clé, garantissent la sécurité du parking. La nuit, il y a un numéro d'urgence en cas de problème et des gardiens passent faire des rondes sur le site. À l'achat, une "tiny" coûte 25 000 euros ; une chambre d'hôtel pour une nuit 70 euros... soit 25 550 euros par an.

L'exclusion liée au logement est de plus en plus forte.

Mais ce ne sont pas les possibles économies à long terme qui ont décidé la Métropole de Lyon à imaginer et financer ce dispositif, c'est l'urgence de la situation. Comme ailleurs en France, la ville de naissance de l'abbé Pierre, qui lança un appel en faveur des mal-logés le 1er février 1954, est confrontée à une crise du logement grandissante. "L'exclusion liée au logement est de plus en plus forte, les sans-abris sont plus nombreux, des gens dorment dans leur voiture, déclare Renaud Payre, vice-président de la Métropole de Lyon en charge du logement. L'hébergement d'urgence est une compétence de l'État mais les villes sont en première ligne."

L'augmentation des structures d'accueil ne suffit cependant pas à absorber des besoins en hausse : les neuf premiers mois de 2023, la Métropole a mis à l'abri quasiment autant de personnes qu'en 2022. Deux autres villages de "tiny houses" réservés à des femmes avec enfants ont été installés sur du foncier non utilisé dans le quartier lyonnais de la Vaise et dans la commune d'Oullins.

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3 000 enfants à la rue en octobre 2023

Fabrice CATERINI / Marie Claire

Si le bilan des "Tiny" est très positif "elles sont prévues pour être une mise en sécurité temporaire et pas pour être une solution pérenne, interpelle l'élu. L'État doit nous accompagner dans la prise en charge." À La Base, le provisoire s'installe dans la durée car l'après coince : l'accès à l'habitat social est embouteillé, les régularisations administratives pour ces migrantes souvent sans papiers se font au compte-goutte. Résultat : alors que le public concerné est celui de mères avec enfants de moins de 3 ans, ces derniers grandissent, mois après mois. "Bien évidemment, nous ne mettons personne dehors quand les enfants atteignent cet âge", précise Malika Benzineb.

En attente d'un logement en HLM, Oumou, 21 ans, dit ainsi de sa voix timide qu'elle aimerait "passer à l'étape suivante". Sa fille a 4 ans. Clémence Marignier, la travailleuse sociale qui la suit, résume la situation de la jeune femme : "Elle n'a plus besoin de moi et pourrait avoir quitté La Base depuis plusieurs mois. Ce ne sont pas ses ressources qui posent problème mais le manque de places."

Un CAP cuisine et sa carte de séjour en poche, Oumou, arrivée de Guinée quand elle avait 16 ans, est désormais prête à voler de ses propres ailes : "Je suis autonome." Viviane (prénom modifié), elle, pensait rester à La Base "deux, trois mois". Elle y est logée depuis bientôt deux ans. Son fils, Joseph (prénom modifié), 2 ans, a une place en crèche car elle travaille.

Je suis indispensable à la société et à l'économie de ce pays, je cotise et pourtant je ne suis pas régularisée.

"En France, personne ne veut s'occuper des personnes âgées, c'est trop mal payé, moi je suis d'accord pour le faire, fait remarquer cette Ivoirienne, qui est auxiliaire de vie. Je suis indispensable à la société et à l'économie de ce pays, je cotise et pourtant je ne suis pas régularisée." Après deux refus de la préfecture, elle est dans une impasse administrative qui entrave toute mobilité : "Heureusement, La Base peut nous garder, mais nous ne sommes pas venus pour rester."

Célina (prénom modifié), sa fille aînée, est en classe de terminale et prévoit de faire des études d'infirmière. Viviane n'attend qu'une chose : pouvoir continuer à construire sa vie en France et laisser, à son tour, sa "tiny" à une femme en situation de grande précarité.

Le mal-logement en chiffres

4,1 millions de personnes sont non ou mal logées en France, selon le rapport 2023 de la Fondation Abbé Pierre. Parmi elles, plus d'un million n'a pas de logement personnel. Près de 3 000 enfants étaient à la rue la nuit du 2 octobre 2023, selon l'Unicef. Soit une hausse de 42 % en deux mois.

Bien qu'alarmant, cet état des lieux est largement inférieur à la réalité car il ne prend en compte que les familles qui ont réussi à joindre le 115.

Ce reportage a été initialement publié dans le magazine Marie Claire numéro 857, daté février 2024.

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