Pour la dernière date de promotion internationale de Black Box Diaries, la réalisatrice Shiori Ito a choisi Paris, samedi 8 mars 2025, journée internationale des droits des femmes.
Marie Claire a assisté à cette première, au MK2 Bibliothèque, après laquelle la figure emblématique de #MeToo au Japon s’est prêtée à l’exercice d’une séance de questions/réponses animée par Emmanuelle Dancourt, journaliste et Présidente de MetooMedia, partenaire du film.
Un échange bouleversant entre femmes qui se comprennent
Pour commencer l'échange, Emmanuelle Dancourt a introduit l’agresseur de la réalisatrice - son nom est Noriyuki Yamaguchi - comme une sorte de "PPDA local" (la journaliste française est une des nombreuses accusatrices de Patrick Poivre d'Arvor). Comme elle, Shiori Ito a été agressée par une figure médiatique célèbre et intouchable. Comme elle, elle s’est battue en vain contre une justice qui a tenté de l'humilier, en utilisant les outils de son métier, pour faire basculer le système, la société et l’opinion publique vers la reconnaissance des droits des victimes.
La colère n’est jamais loin. Shiori Ito l’évoque dans ses échanges avec Emmanuelle Dancourt, qui ont suscité autant de pleurs que de rires dans la salle et sur scène.
Marie Claire a choisi de retranscrire une partie des questions-réponses.
Une énergie tournée vers "le système juridique et les médias"
Emmanuelle Dancourt : Shiori, cela vous met-il en colère de voir cet homme libre aujourd’hui ? Il a été condamné au civil, mais pas au pénal. Le viol est un crime, et si on correctionnalise, c’est un délit. Ce n’est pas du tout la même chose.
Shiori Ito : Je suis très prudente, je ne peux pas le qualifier d'agresseur ou de criminel, alors je cherche toujours un moyen de décrire cet homme. Mais je suppose que, parce que je ne veux plus gaspiller mon énergie, je me fiche complètement de ce qu'il fait.
Ce n'était pas mon rôle de le punir. C'était le rôle de la police, de la loi, de la justice.
Mon énergie est allée vers le système juridique et les médias, et je pense que c'est de cela dont je voulais parler, c'est ce qui me mettait le plus en colère. Parce que ce n'était pas mon rôle de le punir. C'était le rôle de la police, de la loi, de la justice. C'est vers cela, je crois, que j'ai dirigé beaucoup plus de colère et d'énergie.
Vous dites que c’est très difficile pour vous d’exprimer cette colère, car le japonais est la langue du silence. Est-ce la raison pour laquelle vous vous exprimez beaucoup en anglais, même dans votre film ?
Dans le film, la personne qui m’a le plus aidée est celle qui était derrière la caméra : Hanna [Aqvilin ndlr], aussi la productrice du film. Elle est Suédoise, donc je ne pouvais communiquer avec elle qu’en anglais. Elle a été la première personne à m’aider quand j’ai témoigné publiquement. Elle vivait à Londres à l’époque et m’a appelée sur Skype alors qu’elle ne me connaissait pas, pour me dire : "Pourquoi tu ne t’échappes pas à Londres ? Je veux t’aider".
[Concernant son utilisation de l'anglais, ndlr]. J'ai découvert que j'avais toujours écrit mes journaux intimes en anglais. Quand j’en ai parlé, j’ai réalisé que même quand l'homme [Noriyuki Yamaguchi, ndlr] m'agressait, j'essayais de dire “s'il vous plaît, arrêtez”, s'il vous plaît, stop”, “s’il vous plaît”. Je disais “s'il vous plaît”, et il ne s'arrêtait pas, bien sûr. Alors, j'ai dû switcher mon esprit et dire “Fuck of" ["Fous le camp", en français], “What the fuck are you doing” ["Qu'est-ce que tu fous ?”] en anglais, parce que c'était la seule façon que je connaissais pour l'arrêter.
Je veux continuer à dire aux autres survivant.es : "Croyez en votre vérité, vous êtes ceux qui connaissez le plus la douleur".
Vous utilisez donc la colère comme un outil de combat ?
Je n'ai pas réalisé que j’étais en colère. Mais je pense que c’est la raison pour laquelle j’ai fait le film. Donc, de temps en temps, quand je rentre au Japon et que je vois mes amies filles, je leur apprends comment dire "fuck off" ["Va te faire…"].
Un déclic avec Gisèle Pelicot
Que diriez-vous à la jeune femme que vous étiez à 25 ans, après que ce soit arrivé ?
Je lui dirais "crois en ta vérité" parce qu’il y a tellement de personnes qui ont douté de moi, et j'ai moi-même douté de moi. Et je veux remercier Gisèle Pelicot, parce qu’aujourd’hui, je ne peux même pas dire que j’étais saoule [pendant la nuit du viol, ndlr]. C’est la seule chose que je peux donner comme explication, même si je ne peux pas le prouver scientifiquement parce que la police n’avait pas les outils pour tester cela.
Quand vous êtes violée, le contrôle de votre propre corps vous est retiré. Mais quand, en plus vous êtes droguée, c’est aussi votre mémoire qui est conquise, et vous avez l’impression de vous perdre. Donc je veux juste lui dire : "Crois en ta vérité". C’est ce que je veux continuer à dire aux autres survivant.es : "Croyez en votre vérité, vous êtes ceux qui connaissez le plus la douleur, ne laissez personne définir ce qui vous est arrivé pour vous".
Au Japon, les femmes ont-elles "libéré" leur parole depuis que vous avez fait une conférence de presse en 2017 ?
Oui, les médias couvrent beaucoup plus les affaires de violences sexuelles. Mais parce que la loi n’a pas encore changé en ce qui concerne le consentement, c’est difficile à percevoir [Au Japon, 4 % des viols seulement seraient rapportés aux autorités, ndlr].
La loi doit changer pour que l’on puisse dire "cela m’est aussi arrivé". Je pense que c’est toujours très difficile quand les violences sexuelles se lient à la corruption du pouvoir. Vous voyez bien qui est le président des États-Unis maintenant.
Une sélection aux Oscars
Votre film a été sélectionné aux Oscars, où vous étiez, il y a quelques jours. Comment s'est passée cette expérience ?
C’était très pailleté, doré, comme un rêve. Mais c’était génial parce que ma plus one était ma meilleure amie qui était dans le film [Hanna Aqvilin, ndlr]. Parce que ce film a été tourné par mon amie Hannah et d’autres amis. Nous n’avions pas d’équipe de tournage pour ce documentaire. Donc c’était nous tous qui nous réunissions, dix ans après, portant sur nos épaules (le poids de) comment nous avons survécu grâce au storytelling. C'était donc un moment très spécial.
C’est la dernière rencontre internationale pour vous. Je croyais que vous viviez à New York ou à Londres, mais vous avez dit : "Non, je vis dans ma valise". Comment envisagez-vous la suite maintenant que ces huit années sont passées ?
Maintenant, je pense que j’ai besoin de trouver une nouvelle maison, et tout le monde vote pour Paris, alors peut-être…
[Fin de l'échange, ndlr.]
Un film censuré au Japon
Black Box Diaries, au cinéma ce 12 mars, a été censuré au Japon. Les avocats de la journaliste se sont retournés contre elle, l’accusant d’avoir diffusé sans autorisation, dans son documentaire, des vidéos de surveillance du lobby de l’hôtel où s’est déroulé le viol.
Une procédure-bâillon incompréhensible : pourquoi son propre camp l’a-t-elle trahie ? Comment ont-ils réussi à faire interdire la diffusion de ce film dans son propre pays sur cette base alors que les médias avaient déjà divulgué ces vidéos ? C’est le nouveau défi qui attend Shiori Ito : alors que son film est accueilli avec enthousiasme dans le monde entier, elle doit, une fois de plus, remuer ciel et terre pour que Black Box Diaries puisse être vu au Japon.
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